L’école de Fontainebleau et la Renaissance en France

Les derniers Valois et l’école de Fontainebleau

De Charles de Valois, qui sera Philippe VI (1293-1350) à Henri III (1551-1589), le long règne des Valois à donné à la France des grands mécènes qui favoriseront le développement de l’art. C’est au cours des guerres d’Italie, menées par Charles VIII dès 1494, poursuivies par Louis XII et François Ier, que les rois de France découvrirent la civilisation italienne de la Renaissance et ses réalisations très différentes du style gothique.

C’est à Fontainebleau que François Ier, sans doute désireux de rivaliser avec la splendeur des cours italiennes, provoqua un bouleversement fondamental dans l’évolution de l’art français. À l’homme politique, fluctuant et indécis, s’oppose le mécène au goût sur ; Il y fit venir des artistes de la péninsule : Rosso Fiorentino qui, arrivé en France en 1530, voulut auprès de lui d’autres artistes italiens : Luca Penni et surtout Primatice (1532) qui assurera la direction des travaux de décoration de Fontainebleau après la mort de Rosso, et plus tard en 1540 Niccolò dell’Abate. Le grand Léonard de Vinci arrivé en France en 1516, avait cessé de créer et mourut en 1519. À partir du décor s’impose un style dont les principes vont s’étendre d’une manière qu’on n’avait encore jamais vue en France à toutes les branches de l’art. C’est que le langage maniériste, en apparence étranger, offrait en réalité de nombreuses affinités avec le goût français.

Diane chasseresse, vers 1550
Diane chasseresse, vers 1550, peintre Anonyme de l’École de Fontainebleau
(Paris, musée du Louvre)

Cette peinture qui avait été attribuée dans un premier temps à l’italien Luca Penni, montre l’influence de la statuaire antique sur les peintres de l’École de Fontainebleau. L’attitude de la déesse semble s’inspirer d’une sculpture hellénistique intitulée la Diane à la Biche, dont un exemplaire fondu en bronze par Primatice se trouvait à Fontainebleau au XVIe siècle. Elle résume ces caractères et ces influences en une sorte d’archétype de l’idéal bellifontain (de l’école de Fontainebleau). L’étirement en hauteur de la figure, impression que devait accentuer le format primitif du tableau plus étroit que le format actuel, le refus de la profondeur, tout contribue à l’abstraction de la forme. L’œuvre représente très certainement un portrait idéalisé de Diane de Poitiers, maîtresse du roi Henri II.

À l’image de l’Italie donc, les souverains du royaume de France au XVIe siècle, très actifs sur le plan politique et sur le plan artistique ont promu de nombreuses et intéressantes innovations culturelles. Le XVIe siècle voit, d’un côté, la neutralisation des ambitions expansionnistes, amplement compensée par un magnifique développement des commandes architecturales et artistiques, malgré la succession douloureuse de sanglantes guerres de religion. Tel est le cadre de la floraison culturelle et artistique que résume bien l’école de Fontainebleau, l’une des expressions les plus séduisantes de la Renaissance en Europe. De François Ier à Henri IV, les rois de France développent le mécénat artistique, inspiré principalement de modèles italiens.

La naissance d’une tendance artistique propre

À la suite des événements aussi graves que le Sac de Rome de 1527 et le siège de Florence en 1529-30, François Ier fait venir en France des équipes entières de peintres, stucateurs, sculpteurs et architectes italiens, auxquels il confie des charges prestigieuses. Les tombes royales de la basilique Saint-Denis confirment l’orientation du goût de la cour en faveur de la Renaissance italienne. À Paris, l’affirmation progressive du style italien s’allie à la vitalité des modèles traditionnels : les chantiers des dernières églises gothiques (Saint-Eustache, Saint Étienne du Mont et Saint-Germain-l’Auxerrois) se confrontent avec les solutions  » renaissance  » adoptées par Pierre Lescot dans la cour carrée du Louvre (1546) et avec les fontaines publiques de Jean Goujon et de Germain Pilon. À la série de portraits de cour et  » crayons  » de Jean et de François Clouet s’ajoutent d’importants traités d’inspiration classique sur l’art et l’architecture. Les guerres de religion que marqueront durement l’histoire de France, époque, dramatique est symbolisée par les sculptures empreintes d’angoisse de Ligier et qu’Henri IV clôt de la célèbre phrase ;  » Paris vaut bien une messe « .

Portrait équestre du roi François I, François Clouet, Florence, Offices
Portrait équestre du roi François I, vers 1540, François Clouet (Florence, Musée des Offices)

Dans l’Eva Prima Pandora de Jean Cousin (vers 1538) qui atteste l’influence de Rosso et de Cellini pour le nu, l’on retrouve dans le paysage rocailleux de la grotte, une connaissance de Vinci et des gravures des écoles nordiques, notamment celle du Danube. L’une des difficultés concernant la peinture française de cette époque est la diversité des influences auxquelles elle fut soumise. De nouvelles sources apparaissent dans les portraits, comme celui de Pierre Qute (1562) de François Clouet, qui s’inspire manifestement des portraits de cour de Bronzino, ainsi que d’Holbein et des Pourbus de Flandres. Mêmes influences dans la Dame au bain (vers 1570), portrait classique de la maîtresse royale dans son rôle officiel, lointaine, couverte de bijoux même au bain, la fleur de la passion à la main, elle est entourée des attributs de son état: mobilier, héritier dans les bras de sa nourrice, Amour voleur de fruits. Elle est parée des ornements classiques et combine la provocation et la respectabilité d’un langage érudit. Vénus et Cupidon entre le Temps et la Folie de Bronzino, envoyé à François Ier par Cosme I de Médicis, eut certainement beaucoup d’importance dans l’introduction en France d’un nu hardi au dessin dur et aux couleurs froides, obsédantes. La version donnée par Bronzino de la Léda de Michel-Ange à laquelle se mêle l’influence de Corrège et de Titien, croisés à leur tour avec les figures en stuc du Primatice, aboutit à des œuvres comme la Naissance de l’Amour du maître de Flore. Le Primatice se montra le plus convaincant, car sa traduction de l’art italien fut la plus aisément et la plus longtemps disponible.

Diane au bain, François Clouet
Diane au bain, détails, vers 1570, François Clouet (Washington, National Gallery)

Œuvre symbole de la pleine Renaissance française, ce tableau présente une articulation complexe de l’espace dans sa profondeur : trois plans différents s’y étagent comme des épisodes se succédant dans une action théâtrale ; cependant, la signification de l’ensemble reste obscure en grande partie. Au-delà d’un rideau s’ouvre une vaste pièce, dont la fenêtre donne sur un jardin et où se tient une servante ; celle-ci a un précédent illustre dans la Vénus d’Urbino de Titien, mais avec le goût maniériste de l’école de Fontainebleau.

Diane au bain, François Clouet

L’idéalisation contemplative de la représentation de la jeune femme contraste avec la vigueur réaliste, d’inspiration flamande, des autres éléments de la scène, aussi bien la  » nature morte  » du premier plan que la pièce à l’arrière-plan. À la jeune femme nue immobile s’oppose vivement la nourrice, rustique mais non sans grâce, qui allaite un nouveau-né, pendant que, entre elles, un garçonnet tend la main ver le panier de fruits.

Portrait du botaniste Pierre Quthe, 1562, François Clouet
Portrait du botaniste Pierre Quthe, 1562,
François Clouet (Paris, musée du Louvre)

La simplicité du costume et le calme du regard deviennent au cours du XVIe siècle des traits distinctifs de la catégorie sociale des intellectuels et des savants, notamment par comparaison avec le faste et l’assurance des gentilshommes et des militaires. François Clouet donne au portrait du personnage un caractère officiel très marqué en recourant à des procédés de représentation typiques : le rideau de satin, le buste tenu bien droit, le regard tourné directement sur le spectateur. L’herbier prend place dans la longue chaîne qui va du carnet-recueil de recettes de la fin de Moyen Age au répertoire de « merveilles » naturelles et exotiques au seuil de l’époque baroque. C’est précisément pendant la seconde moitié du XVIe siècle que l’herboristerie et la pharmacie acquièrent le statut et le rang de disciplines universitaires autonomes.

Sebastiano Serlio (1475-1554)

Troisième artiste attaché à la cour de François Ier, Sebastiano Serlio, architecte bolonais, né en 1475 (il est donc beaucoup plus âgé que Rosso Fiorentino et le Primatice), dont les traités assurèrent la diffusion en Europe du langage de la Renaissance italienne, depuis Brunelleschi jusqu’à Bramante, dont de ce dernier, il prétendait avoir été l’élève à Rome. Il fut en tout cas assez proche de Peruzzi pour que le maître, qui s’était inspiré des siens pour ses propres publications, lui lègue l’ensemble de ses textes. Réfugié à Venise après le Sac de Rome, il y entama la publication de ses sept livres d’architecture. Dans les livres IV (Les ordres, 1537) et III (Les vestiges de Rome, 1540), il prend ses distances par rapport à l’éclectisme de Peruzzi et prépare les positions plus orthodoxes de ses dernières œuvres. Invité en France par François Ier en 1541, il dessinera le château d’Ancy-le-Franc et le Grand Ferrare de Fontainebleau, où il mourra en 1554, après avoir publié quatre autres livres : les I et II sur la géométrie et la perspective (1545), le V sur les églises (1547), le Libro extraordinario sur les grilles (1551). Le livre VII est posthume (1572) ; deux versions de son livre VI, sur l’architecture domestique, sont de publication récente. Le manuscrit de son traité sur Polybe et les camps militaires a été retrouvé à Munich. L’accent mis sur l’illustration (à la manière de Francesco di Giorgio) constitue sa contribution la plus originale au traité d’architecture imprimé. Palladio reprendra sa mise en page (des textes brefs face à des gravures sur bois) dans le graphisme somptueux de ses Quattro libri.

Traité d'architecture, 1568-69, Sebastiano Serlio
Traité d’architecture, 1568-69, Sebastiano Serlio (New York, Metropolitan Museum)

Les livres de Serlio eurent un immense succès dans toute l’Europe. En France il lui fallut rivaliser avec Lescot et Delorme qui comprenaient beaucoup mieux le style italien.

La suprématie italienne, absolue sous François Ier, est à sa mort en 1546, battue par le « parti français ». À côté du faible Henri II, Diane de Poitiers, au goût singulièrement éclairé, exerce une sorte de dictature. Elle sait imposer Philibert Delorme : de son talent original, il donne la preuve à Anet, au château neuf de St Germain, à Chenonceau, à Ecouen et Chantilly, et à Meudon. Plus tard, sous Catherine de Médicis, aux Tuileries et à Saint Maur ; de la même manière Jean Goujon dépasse l’italianisme, malgré de multiples emprunts, par une plus grande familiarité avec l’antique (Fontaine des Innocents, Tribune des Cariatides au Louvre).

Nymphe et génie, Fontaine des Innocents, 1547-1549, Jean Goujon
Nymphe et génie, bas-relief provenant du soubassement de la fontaine des Innocents, 1547-1549, Jean Goujon (Paris, musée du Louvre)

Jean Goujon, maître du bas-relief, est apparu sur les chantiers normands en 1540, et s’affirme à Paris en collaboration avec Pierre Lescot, avant de s’installer à Bologne, peut-être chassé par les persécutions contre la religion réformée à laquelle il adhérait. Pour la fontaine, adossée primitivement à l’angle de deux rues, achevée pour l’entrée d’Henri II à Paris, il insiste sur la ligne des personnages, cernés d’un contour net, découpés sur un fond nu, et ploie la figure humaine à la dimension du cadre architectural. Dans ces formes maniéristes élégantes et intellectuelles, l’essentiel devient le corps, souplement dessiné en longues spirales langoureuses, deviné sous un drapé léger, mouillé, animé de sinuosités graphiques.

Le château de Fontainebleau

En 1528, François Ier, renonçant aux charmes des châteaux de la Loire, berceau de la première Renaissance, avait annoncé son intention de vivre  » la plupart de sa demeure et séjour en sa bonne ville et cité de Paris et alentour « . Pour y loger cette cour de plus en plus nombreuse qui enchaînait à lui les nobles, il allait développer les constructions et porter son choix sur le rendez-vous de chasse de Fontainebleau, un manoir entouré d’une forêt incomparable, à soixante kilomètres de Paris. En ce lieu se crée un nouveau style décoratif, foyer de cette École de Fontainebleau, représentative de l’art de la Renaissance en France (une interprétation française mesurée du maniérisme) qui devait briller avec tant d’éclat au cours du siècle. L’école de Fontainebleau est née sous l’influence de deux maîtres italiens œuvrant au château : le Rosso et Primatice. Par extension, ce terme s’est appliqué à toutes les formes d’art qui se sont épanouies à Fontainebleau, et un peu plus tard, dans le même esprit, à Paris et jusqu’au règne d’Henri IV.

Château de Fontainebleau, cour d'honneur
Château de Fontainebleau, cour d’honneur.

François Ier concentra son mécénat sur la décoration du château de Fontainebleau, qui donna le ton au nouveau style. Allégories, mythologies, histoires peintes, toutes exaltent la gloire du roi ; elles étaient encadrées de figures, trophées, guirlandes, panneaux en cuir découpé, putti, exécutées en haut-relief presque dégagé. Les tapisseries du même type, les tableaux de chevalet où le nu féminin y est omniprésent. Les portraits imitant les élégants portraits de cour des Médicis par Bronzino, les paysages imaginaires aux immenses panoramas, les tableaux religieux à l’imagerie complexe et au « contrapposto » torturé, même les arts appliquées comme les miniatures, la joaillerie, les textiles, témoignent de l’impact du château de Fontainebleau.

L'Escalier du Roi, fresques et stucs, vers 1552, le Primatice
L’Escalier du Roi, fresques et stucs, et détail de l’histoire d’Alexandre
(Alexandre apprivoisant son cheval Bucéphale), vers 1552, le Primatice
(Château de Fontainebleau)

Le Primatice dans les années 1540, introduit le dernier cri de la « manière » italienne. Le château de Fontainebleau devient le centre d’une école italienne en France.

Née en 1530 lors de l’arrivée à Paris de Rosso Fiorentino, la première École de Fontainebleau ne disparaît pas à la mort de ses deux derniers créateurs. Elle se survit, parfois d’une façon très archaïque jusqu’à la fin du siècle. Son emprise sur l’art français est étonnante : en Province les fresques de Tanlay (Tour de la Ligue), d’Oiron. L’art du vitrail en est touché, le meuble copie les motifs les plus célèbres. Les sculpteurs, même les plus grands, n’y sont pas insensibles. Les patrons exécutés par les artistes de Fontainebleau pour les tapissiers, les orfèvres et les émailleurs contribuèrent naturellement à l’étroite interdépendance des arts à cette époque. À cette dernière époque, certains spécialistes l’appellent la seconde école de Fontainebleau. La seconde génération d’artistes nés en France ne comportait personne de la valeur de Rosso Fiorentino et du Primatice. Elle était trop souvent attirée par les éléments voyants et fantastiques des modèles italiens, les perspectives extrêmes et la palette outrée; trop d’œuvres sombrent dans une forme confuse et un érotisme évident, signes d’une compréhension superficielle de l’art de la Renaissance. À la fin du siècle, les guerres de religion mirent quasiment fin au mécénat. Lorsque les arts commencèrent à se relever sous Henri IV, on puisa encore aux sources de Fontainebleau, ainsi que chez les Flamands italianisants qui importèrent d’autres distorsions dans leurs emprunts. Ambroise Dubois, Flamand installé en France et Toussaint Dubreuil poursuivirent les distorsions fantastiques et les nus érotiques, mais la flamme était éteinte. Les confusions d’espace et d’échelle masquent la pauvreté de l’imagination et du style. Seul Antoine Caron impressionne par son art de cour extrêmement sophistiqué. Ses tableaux ressemblent à des gigantesques ballets ; ils s’en inspiraient sans doute car c’était un des divertissements préférés de la cour de Catherine de Médicis, la reine mère, son principal mécène.

Les Massacres du triumvirat, 1566, Antoine Caron, Paris, musée du Louvre
Les Massacres du triumvirat, 1566, Antoine Caron
Les Massacres du triumvirat, détails, 1566, Antoine Caron (Paris, musée du Louvre)

Cette composition, avec distribution de petits personnages par groupes, est très caractéristique de la manière d’Antoine Caron, l’un des représentants les plus typiques de l’école de Fontainebleau. Le sujet du tableau est lié à la période de troubles du siècle I avant J.C., mais il est facile d’y voir une image brutale de la situation qui prévaut à l’époque de l’artiste, celle des guerres de religion. Un cruel épisode historique sert de prétexte pour représenter les principaux édifices de la Rome antique. Le tableau fait allusion au massacre des protestants pendant les guerres de religion : le 6 avril 1561, le connétable de Montmorency, Jacques d’Albon de Saint-André et le duc de Guise formèrent un Triumvirat contre les protestants. Les monuments antiques et modernes de Rome ainsi que les sculptures (l’Apollon du Belvédère, les Dioscures), sont sans doute inspirés par des gravures d’Antoine Lafréry.

Rosso et la galerie de François Ier

Après s’être assagit à Rome de ses réactions rageuses contre le classicisme académique, Giovanni Battista di Jacopo, dit Rosso Fiorentino (Florence 1495 – Fontainebleau 1540) est l’artiste clef pour la transmission de la maniera moderna (le maniérisme selon Vasari) en France. En 1530, un dessin du Rosso envoyé à François Ier, décida sans doute de l’art français : on y voyait Mars conduit vers Vénus par les Amours et les Grâces, allusion au mariage du roi avec la sœur de Charles-Quint ; la Paix des Dames mettait fin à la guerre de la maison d’Autriche ; le roi guerrier allait devenir mécène. L’Allégorie avait été traitée par le Rosso avec une sensualité raffinée qui ne pouvait que toucher son destinataire. Rosso Fiorentino fut accueilli par François Ier avec une extrême faveur à Fontainebleau où il arrive en octobre 1530. Sous sa direction, une équipe de peintres, sculpteurs, doreurs et stucateurs italiens, français et flamands, exécuta d’abord les stucs, puis les peintures de la galerie. François Ier y est partout présent : la salamandre couronne chacun des grands tableaux qui lui sont dédiés et il y apparaît lui-même, soit personnellement, soit symboliquement (l’Éléphant fleurdelisé). Le seul précédent iconographique vraiment comparable est la décoration de Perino del Vaga au Palais Doria à Gênes. Nous ne connaissons plus du Rosso à Fontainebleau que cette galerie ; la Salle Haute qu’il décora au-dessus du Pavillon des Poêles fut abattue et la petite galerie disparut, lors de la construction de la Salle de Bal. Il nous reste de dessins des projets qui, peut-être, ne furent jamais exécutés. À la tête d’une équipe, dont fait partie le Primatice, et qui ne tarde pas à prendre l’allure d’une véritable école, Rosso réalise la grandiose galerie reliant l’ancien et le nouveau château (1532-1537), monument fondamental pour la diffusion de l’esthétique maniériste en Europe. Au-dessus d’un lambris sculpté, il dispose les peintures face à face, entourées d’un cartouche, flanquées de reliefs en stuc d’une importance et d’une signification égales au sujet principal.

L'éléphant fleurdelisé, fresque, 1534-1536, Rosso Fiorentino
L’éléphant fleurdelisé, fresque, 1534-1536, Rosso Fiorentino (Fontainebleau, galerie François I)

À travers un jeu symbolique d’une grande virtuosité, les motifs secondaires tour à tour peints et sculptés interviennent comme des gloses subtiles et spirituelles autour des grands panneaux. Rien de tel n’avait encore été réalisé nulle part ; l’équipe italienne a su inventer un décor adapté au goût français. Le répertoire décoratif à base de guirlandes, de « putti », de chutes de fruits, est une synthèse étourdissante de tout ce qu’on pouvait connaître.

Stuc de la Galerie de François I, 1534-1537, Rosso Fiorentino
Stuc de la Galerie de François I, 1534-1537, Rosso Fiorentino (Château de Fontainebleau)

Le Rosso semble bien être le premier à avoir utilisé le stuc comme une véritable sculpture. Des expériences des décorateurs issus de Raphaël et Michel-Ange, il a tiré une synthèse personnelle où l’exemple de la Chapelle Sixtine a probablement joué un rôle déterminant, car c’est de la structure architectonique imaginée par Michel-Ange que découle, en définitive, le complexe décoratif de la Galerie de François Ier. Mais alors que Michel-Ange s’était exprimé au moyen d’un pur illusionnisme, aux fresques et aux sculptures feintes, le Rosso mêle hardiment stucs et peintures.

Le Rosso reçoit en 1532 des lettres patentes que lui confèrent privilèges et liberté ; la même année il est fait chanoine de la Sainte-Chapelle. Il touche 400 livres par an, plus qu’aucun autre artiste; l’affection du Roi pour son « cher et bien-aimé peintre ordinaire » ne se démentira jamais. Sa mort à 46 ans, en 1540, demeure mystérieuse. Il était d’une grande culture et philosophe, avec des manières de grand seigneur, mais indépendant, entier, violent; ainsi son œuvre, érudite, cérébrale, raffinée, d’un accent souvent farouche. Dans la Pietà, si le motif principal rappelle le thème central de La Déposition de Volterra la structure de toute l’œuvre diffère, riche certainement des expériences spatiales de la Galerie François Ier. Réduit aux acteurs essentiels, le drame religieux atteint une admirable concentration des effets, mettant en valeur les moindres intonations. Chaque visage porte ce masque « cruel et désespéré » qui frappait déjà autrefois à Florence le camerlingue de Santa Maria Nova.

Pietà, entre 1530 et 1540, Rosso Fiorentino
Pietà, entre 1530 et 1540, Rosso Fiorentino (Paris, musée du Louvre)

Seule œuvre de chevalet connue qui soit assurément peinte pendant le séjour de Rosso en France. Réalisée pour le connétable Anne de Montmorency, les coussins supportant le corps du Christ sont ornés des alérions bleus sur fond orangé qui composent les armoiries du connétable, et c’est de son que la Pietà provenait lorsqu’elle entra au musée à la fin du XVIIIe siècle. Mais on ignore la destination exacte et la date de commande de l’œuvre.

L’activité de Jean Cousin l’Ancien commence en Bourgogne par des cartons pour vitraux ; il apparaît dès lors comme l’un des protagonistes de la scène artistique et il concourt à l’inflexion du goût de la cour de France vers le maniérisme. Sa présence à Paris est attestée à partir de 1539 ; il y réalise en abondance cartons et dessins pour vitraux et décorations éphémères. De 1549 date le cycle de six toiles avec des Scènes de la vie de saint Germain l’Auxerrois, exécuté en collaboration avec Louis Dubreuil, et de cette période date aussi son œuvre picturale la plus célèbre, Eva prima Pandora, alliance originale de mythes classiques et de thèmes chrétiens. La personnalité de Jean Coussin, longtemps confondue avec celle de son fils, Vasari le cite avec éloge, à propos de Vignole, pour ses travaux de perspective qui furent publiés : La perspective en 1560, Le Livre de portraiture en 1571. Il avait illustré de nombreux ouvrages tel Horus et Apollo (1543). Son nom se retrouve aussi sur un petit nombre de gravures.

La Charité, vers 1543, Jean Cousin le Père
La Charité, vers 1543, Jean Cousin le Père (Sens vers 1490 – Paris 1560), (Montpellier, Musée Fabre)

Cette allégorie est d’une véhémence issue du Rosso, que tempère l’exécution lisse et légère : son ampleur montre de quelle façon personnelle Cousin a assimilé l’exemple de Fontainebleau. Le groupe, conforme à la tradition, est encadré d’un rideau rouge ; la robe bleue joue sur le fond de paysage à la flamande.