Le portrait français

L’art du portrait

Au XVIIe siècle, les vibrantes interprétations baroques de Rubens, s’opposèrent au réalisme du Caravage ou de Velázquez, tandis que la Hollande bourgeoise de Frans Hals proposait un inépuisable échantillonnage de types et de visages humains. Dans les peintures du XVIIIe siècle, de souriants visages d’aristocrates alternent avec de grandiloquentes poses classiques. Écrivains, intellectuels, égéries, savants, artistes, ont été en France les sujets privilégiés du portrait, montrant le modèle inspiré, spontané ou socialement établi, dans sa condition : écrivant, lisant, touchant d’un instrument, conversant dans un atelier. De Boucher à David, de Desportes à Greuze, la plupart des grands peintres, depuis les portraitistes de la Renaissance, ont pratiqué le portrait avec brio, sincérité et prodigalité pour certains. Duplessis, Drouais, Latour, Vestier, Roslin, Vigée-Lebrun s’en sont fait une spécialité, avec le souci d’approcher sans fard la convivialité ou l’état d’âme du modèle. À saisir les individus dans leurs rapports en société ou dans un environnement choisi, Thomas Gainsbourg acquiert la célébrité : le naturel de ses fonds de paysage semble s’associer au caractère des modèles. La technique vertueuse du pastel fascine aux peintres comme Etienne Liotard, Chardin à la fin de sa vie artistique, et surtout au grand spécialiste Latour.

Autoportrait, 1751, Maurice Quentin de Latour
Autoportrait, 1751, Maurice Quentin de Latour
(Amiens, Musée de Picardie)

Une subtile ironie dans l’expression qui acquiert un hale de supériorité, sa position apparemment franche devient impénétrable. La froide couleur du pastel, introduit le modèle dans un monde hermétique, précieux et artificiel, qui en aucun moment offre un point de rencontre avec le spectateur. Lorsque Latour a réalisé ce portrait, il était déjà l’un des plus recherchés portraitistes de son époque.

Marie-Adelaide de France en Robe Turque, 1753, Jean-Etienne Liotard
Marie-Adelaide de France en Robe Turque, 1753, Jean-Etienne Liotard
(Florence, Galleria degli Uffizi)

Fille de Louis XV et de Marie Leszczynska, la jeune fille est représentée dans la typologie du portrait allongé. Dans cette charmante image, le peintre révèle dans la reproduction de détails, et la restitution de l’ambiance, sa connaissance des usages orientaux appris au cours de ses voyages.

Jean-François Marmontel, 1767, Alexandre Roslin
Portrait de Jean-François Marmontel, 1767, Alexandre Roslin (Paris, Musée du Louvre)

Paris a exercé un grand pouvoir d’attraction sur les artistes européens y compris le peintre suédois Alexandre Roslin qui a été reçu à l’Académie en 1753, fut très admiré pour ses portraits d’intellectuels et d’artistes. Marmontel (1723-1799) était un historien et écrivain français, membre du mouvement encyclopédiste.

Portrait de Madame Lenoir, 1764, Joseph Siffred Duplessis
Portrait de Madame Lenoir, 1764,
Joseph Siffred Duplessis (Paris, Musée du Louvre)

La dame représentée est la mère d’Alexandre Lenoir, fondateur du musée des Monuments français. Le peintre accorde une grande attention au rendu des matières comme le satin bleu de la robe garnie de grands nœuds blancs ou le papier marbré du livre.

Le Petit Dessinateur, 1772, Nicolas Bernard Lépicié
Le Petit Dessinateur, Carle Vernet à l’âge de quatorze ans, 1772,
Nicolas Bernard Lépicié (Paris, musée du Louvre)

Comme le montre ce portrait, Lépicié fut très influencé par Chardin, qu’il imita dans des nombreuses scènes de genre.

Madame de Sorquainville, 1749, Jean-Baptiste Perronneau
Madame de Sorquainville, 1749,
Jean-Baptiste Perronneau (Paris, musée du Louvre)

Perronneau fut l’un des portraitistes les plus connus et les plus recherchés de son temps. Coloriste habile et délicat trouve le moyen d’expression dans la technique du pastel. Les personnages portraiturés appartiennent généralement à la haute bourgeoisie, comme cette dame élégante qui serait peut-être l’épouse d’un conseiller de Rouen.

Antoine Lavoisier et Marie-Anne Lavoisier, 1788, Jaques Louis David
Antoine Lavoisier et Marie-Anne Lavoisier, 1788, Jacques Louis David
(New York, Metropolitan Museum)

Ce portrait fut probablement commandé au peintre par Mme Lavoisier, elle-même peintre et ex-élève de David. Il faut souligner les gestes naturels et la minutie dans la description des appareils de chimique dans lesquels le couple a été profondément intéressé. Lavoisier était un éminent physicien et chimiste, membre de l’élite intellectuel libéral qui prônait des réformes modérées. Il a été guillotiné en 1794 pour avoir tenu la fonction de fermier général.

Jean-Marc Nattier

Jean-Marc Nattier (Paris 1685-1766) fut admis à l’Académie en 1717 comme peintre d’histoire avec une composition à sujet mythologique. Toutefois l’artiste dut son succès au portrait, un genre qui n’était pas très bien considéré dans le milieu académicien. Ses compétences dans cette modalité sont reflétées dans les commentaires laissés par son premier biographe, sa fille, mariée au peintre Louis Tocqué, quand un jeune Nattier présente au roi Louis XIV un dessin pour un portrait de Rigaud très salué par le monarque. Les nombreuses commandes reçues dans les milieux bourgeois ou aristocratiques et surtout de la part du tsar de Russie Pierre le Grand, furent à l’origine du grand succès de Nattier. À partir de 1740, il travailla pour la cour de Louis XV. Ses meilleures œuvres sont des portraits féminins, dans lesquels les images, peintes d’après nature ou transposées sur le mode mythologique, sont rendues avec élégance et grâce, dans des coloris clairs et brillants, extrêmement fluides et fondus. Par la fraîcheur des expressions et la richesse des costumes, les portraits les plus réussis de Nattier sont ceux des dames de la cour de Louis XV (portraits des filles de Louis XV, en déesses des Saisons ou dans les Quatre Eléments : Le Feu, L’Eau, La Terre, L’Air).

Marie-Zéphirine de France, 1751, Jean-Marc Nattier
Marie-Zéphirine de France, 1751, Jean-Marc Nattier (Florence, Uffizi)

Le regard ébahi, les joues en feu, et le geste affecté avec lequel l’enfant caresse son petit chien, nous renvoie l’image d’une poupée.

Figure dominante de l’art du portrait de la fin du règne de Louis XV, Nattier se montre en revanche peu soucieux dans la vérité psychologique des modèles, versant volontiers dans la flatterie. Les modèles de Nattier posent dans un environnement de rideaux somptueux, d’objets rares, de fleurs ou d’animaux familiers dont le coloris éclatant et l’aspect lumineux font miroiter le rendu des matières. Ses portraits, derniers témoignages d’un monde encore classicisant qui nous rapporte à l’art du Dominiquin et d’Albani, prennent ici une valeur emblématique, symbole d’une société, une ambiance et un style de vie caractérisé par le goût pour la beauté factice et pour des élégances affectées.

Madame Bouret en Diane, 1745, Jean-Marc Nattier
Madame Bouret en Diane, 1745, Jean-Marc Nattier (Madrid, Museo Thyssen Bornemisza)

Comme toile de fond pour cette dame, momentanément transformée en la déesse Diane, Nattier a choisi un environnement naturel, dans lequel le ciel prend presque tout l’espace, interprété avec des couleurs froides en accord avec le personnage. La figure apparaît assise et signale avec l’index de sa main gauche quelque chose en dehors du champ de vision du spectateur. Sa tunique blanche tombe artistiquement laissant entrevoir un sein. L’arc, les flèches et le carquois, ainsi que la peau de léopard sont les attributs de cette déesse de l’Antiquité qui personnifie la chasse. Le soin apporté au rendu des étoffes et la douceur de l’expression du modèle caractérise l’art élégant et souvent flatteur de Nattier. Madame Bouret, d’origine portugaise, avait épousé en 1735 Michel Etienne Bouret, fermier général.

La comtesse Tessin, 1741, Jean-Marc Nattier
La comtesse Tessin, 1741, Jean-Marc Nattier
(Paris, musée du Louvre)

Élisabeth Vigée-Lebrun

Fille et élève d’un peintre pastelliste, Elisabeth Vigée-Lebrun (Paris 1755-1842) acquit une grande célébrité auprès de l’aristocratie européenne de son temps avec ses gracieux portraits à l’huile et au pastel. Vigée-Lebrun fut essentiellement une autodidacte précoce avec du génie. Elle fut introduite dans la société mondaine et aristocratique parisienne par son mari (Jean-Baptiste Lebrun, lointain neveu du peintre Le Brun), qui exerçait la profession de marchand de tableaux, ce qui lui permit d’étudier les maîtres de diverses écoles picturales. En 1778, Vigée-Lebrun peint un Portrait de Marie-Antoinette pour l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche qui eut un grand succès, ce qui lui valut la nomination de peintre officiel de la reine (en dix ans elle réalisa plus de trente portraits à l’effigie de la souveraine), mais elle dut émigrer dans d’autres cours européennes au moment de la Révolution. Pendant son exile qui a duré douze ans, Vigée-Lebrun voyagea par toute l’Italie (1789-1792). Ce long séjour a confirmé sa primauté comme portraitiste de cour et de l’aristocratie cosmopolite, surtout à Naples, succès qu’elle continua à Vienne et à Saint-Pétersbourg. À son retour en France (1802) Vigée-Lebrun a continué à voyager à l’étranger, toujours avec le même succès. À Suisse peignit le Portrait de madame de Staël en Corinne (1808). Les dernières années de sa vie les a dédié à écrire ses Souvenirs (1835-1837).

Autoportrait, après 1782, Elisabeth Vigée-Lebrun
Autoportrait, après 1782, Elisabeth Vigée-Lebrun (Londres, National Gallery)

Cette charmante toile peinte à Bruxelles témoigne avec esprit de l’admiration de Vigée Lebrun pour un célèbre chef-d’œuvre flamand « Le Chapeau de paille » de Rubens. Le vif éclat et le rayonnement général produits par la lumière extérieure directe et par son reflet ont été en effet soigneusement rendus comme dans le tableau de Rubens. Mme. Vigée s’est représentée en plein air, devant un ciel tacheté de nuages. À la fois peintre et modèle, elle semble incarner l’art de la peinture. Elle porte un chapeau de paille avec une couronne de fleurs de champs fraîchement cueillies. Elle ne porte pas de perruque, et ses cheveux n’ont pas été poudrés. Tandis que Suzanne Lunden croissait modestement les bras et regardait par-dessous le chapeau, Mme. Vigée offre au spectateur une amitié sans affectation. Ce sont cependant ses seins qui semblent représentés avec le plus de naturel. Contrairement à ceux de la beauté de Rubens, qui étaient moulés dans un corset étroit, Mme. Vigée montre clairement, par son grand décolleté, qu’elle n’a nul besoin d’un tel artifice.

L’artiste lança un nouveau style. Ses portraits à la mode, aux robes simplifiées, dites « à la grecque », se passaient des colonnes et des draperies du décorum baroque : l’artiste cherchait à montrer des attitudes et des sentiments naturels, anticipant en cela le néoclassicisme de David.

Portrait de la marquise de Pezay, et de la marquise de Rougé, 1787, Vigée-Lebrun
Portrait de la marquise de Pezay, et de la marquise de Rougé avec ses enfants, 1787, Elisabeth Vigée-Lebrun (Washington, National Gallery)

L’amour maternel et la tendresse enfantine sont des thèmes récurrents dans les tableaux de Vigée-Lebrun, comme dans les portraits de sa fille Julie. Ici, les deux femmes montrent ses enfants avec tendresse et fierté, libres de conventions mondaines. Les robes des dames ont été reproduites avec des touches légères, liquides, d’un éclat plus marqué dans les zones où se reflète la lumière, comme dans le bandeau doré attaché à la ceinture de la dame à gauche. Le visage de l’enfant appuyé sur le genou de sa mère annonce les œuvres des peintres impressionnistes, par la douceur du dessin et par la liberté et l’aisance de la touche.

Mademoiselle Raymond, 1786, Elisabeth Vigée-Lebrun
Mademoiselle Raymond, 1786, Elisabeth
Vigée-Lebrun (Paris, musée du Louvre)

Le grand chapeau à plumes conclut la gamme chromatique des gris, bleus clairs et lilas très raffinée du tableau qui se répètent sur le ruban en soie. Le manchon de fourrure est un amalgame de moelleux et duveteux. Ces détails stylistiques et autres démontrent la brillante exhibition technique de l’artiste. La jeune femme du portrait était une actrice très connue de la Comédie Italienne à Paris, elle fut peinte par Mme. Vigée quelques années avant que la Révolution l’oblige à émigrer. L’artiste capture le mouvement du modèle, comme s’il aurait été peinte en pleine course, jetant un sourire fugace juste avant de sortir par la gauche du tableau.

Les pastels de Latour

Maurice Quentin de Latour (1704-1788) adopta la technique du pastel, peut-être sur l’exemple de Rosalba Carriera. Ses portraits pleins de verbe et pénétrants remportèrent un grand succès dans le milieu de la cour et dans les cercles intellectuels. Les dessins préparatoires sont d’une fraîcheur éclatante tandis que, dans les études, les visages sont saisis dans leur plus intime essence. Latour avait accédé en 1746 à l’Académie royale en tant que « peintre de portraits au pastel ». L’art du pastel qui permet des reprises (et donc des séances de pose répétées), fascine par la fragilité de sa matière pulvérulente, la rapidité d’exécution et le résultat des effets chromatiques obtenus à partir de centaines de bâtonnets de couleurs broyés à l’eau pure et séchés.

Autoportrait à la toque d'atelier, 1742, Maurice Quentin de Latour
Autoportrait à la toque d’atelier, 1742, Maurice Quentin de Latour (Saint-Quentin, Musée Lécuyer)
Portrait d'Henry Dawkins, vers 1750, Maurice Quentin de Latour
Portrait d’Henry Dawkins, vers 1750, Maurice Quentin de Latour (Londres, National Gallery)

Henry Dawkins (1728-1814) fut député de Southampton. À en juger par l’âge apparent du modèle, ce portrait au pastel date d’environ 1750.

Toute l’œuvre de Latour montre un dialogue, posé mais direct, entre l’artiste et son modèle, une méditation sur les types et les expressions psychologiques – s’agit-il de Louis XV, de la reine, de Mme de Pompadour, du maréchal de Saxe, ou des plus « humbles » personnalités : portraits de Jean-Jacques Rousseau, de d’Alembert, ses Autoportraits. Jean-Baptiste Perroneau, son émule, dont la technique est encore plus vigoureuse ou Jean-Etienne Liotard et Chardin à la fin de sa vie ont laissé les plus beaux portraits au pastel du siècle. Avant eux, la célèbre Rosalba Carrièra (1675-1757), peintre vénitien, avait brillé dans ce même genre.

Portrait de Marie Fel, épouse de l'artiste, Maurice Quentin de la Tour
Portrait de Marie Fel, épouse de l’artiste, Maurice Quentin de la Tour, (Saint-Quentin, Musée Lécuyer)
Portrait de la marquise de Pompadour, 1748-1755, Maurice Quentin de Latour
Portrait de la marquise de Pompadour, 1748-1755, Maurice Quentin de Latour
(Paris, Musée du Louvre)

Mme de Pompadour eut un rôle très important dans la vie artistique et intellectuelle du XVIIIe siècle. Née Jeanne-Antoinette Poisson, en 1721, était issue d’une famille bourgeoise liée au monde des finances, bénéficiant d’une éducation soignée et raffinée. Elle fréquente les salons et rencontre l’élite intellectuelle de l’époque, Diderot, Marivaux, Rousseau, Voltaire. Présentée à la cour, elle devient maîtresse en titre du roi Louis XV en 1745, et recevra le titre de marquise de Pompadour, ainsi que diverses demeures d’exception, comme l’hôtel d’Evreux, actuel palais de l’Elysée. Depuis 1751, la marquise cessera d’être la favorite du roi pour devenir son amie et conseillère. Protectrice des arts, elle s’entoure des grands artistes de l’époque, comme le peintre Boucher, ainsi que des meilleurs artisans des Bâtiments du roi.

Madame de Pompadour, 1748-1755, Maurice Quentin de Latour, détail

Dans ce portrait officiel, la marquise apparaît dans un cabinet style rococo, entourée des attributs symbolisant la littérature, la musique, l’astronomie et la gravure : une partition de Guarini, l’Encyclopédie, De l’esprit des lois de Montesquieu, la Henriade de Voltaire, une sphère, et diverses gravures. Une guitare est déposée sur une chaise derrière elle. Dans une volonté d’ostentation, elle est habillée d’une somptueuse robe de cour dite « à la française » dont la mode apparaît vers 1750, mais par contre il faut souligner l’absence de bijoux. Avec ce tableau, Latour mit au service de la marquise toute sa maîtrise technique et son sens de l’analyse psychologique, malgré les problèmes rencontrés au cours de sa réalisation à cause des désirs changeants de cette femme qui dominait la France.

Dans La Belle chocolatière Liotard fait des expériences curieuses : du point du vue strictement technique, il s’agit d’un pastel sur parchemin, mais il a les dimensions d’une toile et l’apparence émaillée d’une peinture sur porcelaine. La figure alerte et vive de la jeune servante semble annoncer l’esprit de personnages analogues dans les œuvres de Mozart.

La belle chocolatière, 1744-1745, Jean-Etienne Liotard
La belle chocolatière, 1744-1745, Jean-Etienne Liotard (Dresde, Gemäldegalerie)

On ne peut pas poser un nom sur cette figure de jeune fille qui s’avance tenant son plateau, prête à le déposer sur un guéridon pour la personne qui prendra son chocolat en solitaire. Ce chef-d’œuvre fut très applaudi par ses contemporains par la perfection technique atteinte par l’artiste dans l’utilisation de la peinture au pastel et par sa remarquable vraisemblance. D’une grande finesse chromatique restreinte aux tonalités grises, roses et ocres, sur lesquelles s’accentue le blanc du tablier, couleurs que nous retrouvons dans la décoration de la tasse. Cette œuvre délicieuse fut achetée à Venise par le comte Algarotti pour les collections royales de Dresde.