Dante en peinture

La fortune iconographique de Dante

L’œuvre fondatrice de la littérature en langue italienne, La Divine Comédie de Dante Alighieri (Florence, 1265 – Ravenne, 1321) a connu une immense fortune iconographique, qui s’est concentrée surtout sur les personnages et les épisodes des deux premières parties. Les choix iconographiques pour la traduction en images du poème sont des plus variés. On trouve en premier lieu la représentation de l’auteur tenant son ouvrage (le titre du poème Divina Commedia a été donné par Boccace), et cette variante se rencontre dans tous les domaines de la figuration et dans toutes les techniques, jusqu’au XIXe siècle. Mais le cas le plus fréquent, sont les épisodes et les personnages qui ont le plus marqué la mémoire collective. Ces personnages peuvent être représentés dans diverses scènes tirées de leur vie terrestre et restituées selon les indications historiques puisées dans l’œuvre de Dante, et c’est le parti qui prend la peinture romantique ; ou bien, ils peuvent être représentés conversant avec le poète, et c’est la solution retenue surtout dans l’illustration graphique, qui reste fidèle au texte. Les thèmes tirés de la biographie de Dante qui ont été développés dans l’iconographie, à différentes époques et avec des accents divers sont essentiellement au nombre de trois : l’exil, l’amour pour Béatrice et l’auteur-personnage protagoniste du plus grand chef d’œuvre de la littérature occidentale. L’iconographie de l’exil, née très tôt, exalte la dimension héroïque du poète, sa recherche de la vérité et de la justice, sa ferme dénonciation des abus et des compromis de la vie politique, et elle tend à transposer les situations historiques contingentes sur un plan symbolique universel.

Dante en exil, vers 1865, Domenico Peterlin, Vicence, Museo Civico.
Dante en exil, vers 1865, Domenico Peterlin, Vicence, Museo Civico. Le tableau met élégamment en valeur une attitude caractéristique qui a été attribuée au grand poète : son mépris nourri d’amertume pour son temps et l’ouverture universelle de sa pensée.

À partir du XIVe siècle, Dante figure en tant qu’auteur de La Divine Comédie dans toute l’iconographie représentant des hommes illustres et dans des illustrations du poème, par des artistes prestigieux comme Botticelli au XVe siècle, l’Enfer ou Federico Zuccari, XVIe siècle Dante historiato. Cette perspective place la figure de Dante sous l’éclairage le plus vif de La Divine Comédie et saisit dans la gigantesque et complexe personnalité du poète l’aspect austère et froid du juge lucide et impitoyable vers les limites et les faiblesses humaines. Dans Portrait de Dante avec la ville de Florence, le poète apparaît debout au premier plan et tient le livre de son poème ouvert sur l’incipit du chant I de l’Enfer, désignant de sa main droite les mondes qu’il décrit dans son œuvre. Sur le côté droit s’élève la ville de Florence, reconnaissable à ses monuments : sa présence peut signifier aussi bien le lieu de naissance du poète qu’à signifier qu’il vit maintenant en exil.

Dante historiato, Purgatoire, chant II, Federico Zuccari, XVIe siècle, Florence, Galerie des Offices.
Dante historiato, Purgatoire, chant II, Federico Zuccari, XVIe siècle, Florence, Galerie des Offices.
Portrait de Dante avec la ville de Florence et l’allégorie de La Divine Comédie, 1465, Domenico di Michelino, Florence, cathédrale Santa Maria del Fiore.
Portrait de Dante avec la ville de Florence et l’allégorie de La Divine Comédie, 1465, Domenico di Michelino, Florence, cathédrale Santa Maria del Fiore.

Dante et Virgile au Enfers

La représentation des protagonistes du voyage aux Enfers, Dante et Virgile, constitue un sujet iconographique qui permet de mettre en valeur le caractère spectaculaire des lieux qu’ils traversent ou leurs réactions psychologiques. Le couple du protagoniste et de son guide – l’un, miroir des réactions émotives du lecteur (Dante), l’autre, figure de maître, paternelle et consolatrice (Virgile) – remplit une fonction narrative et didactique fondamentale. Dante et Virgile sont évidemment les personnages des deux premières parties du poème les plus représentées : on les voit non seulement converser avec des tiers, mais aussi se déplacer. Un facteur important du succès de l’Enfer est la puissance des descriptions d’un réalisme sans précédent. Cette partie du poème de Dante à joui d’une fortune iconographique pratiquement continue aussi bien chez les lecteurs que chez les artistes comme la très connue Barque de Dante de Delacroix où le personnage qui manifeste sa colère en se mordant lui-même ainsi que le rebord de la barque sur laquelle sont transportés le poète et Virgile, peut-être est-il Filippo Argenti, riche Florentin ennemi particulier de Dante et damné par son orgueil furieux. Cette première partie suit deux orientations iconographiques: d’une part, la figuration des personnages les plus dramatiques, et, de l’autre, la représentations des lieux infernaux stupéfiants.

La Barque de Dante, 1822, Eugène Delacroix, Paris, musée du Louvre.
La Barque de Dante, 1822, Eugène Delacroix, Paris, musée du Louvre. Le tableau illustre un épisode du chant VIII : la traversée du Styx, où se trouve le marécage des coléreux. Les figures du démon et des damnés, au corps robuste, s’inspirent du modèle sculptural de Michel-Ange (tombeaux des Médicis à Florence) ; elles suggèrent aussi d’autres références importantes à Rubens et surtout a Géricault (Le Radeau de la Méduse).

Dans Dante et Virgile aux Enfers de Livio Mehus, la bouche d’un antre obscur au premier plan sert de coulisses à la scène qui s’ouvre au centre de la toile, où les lueurs d’un édifice en flammes rompent l’obscurité ambiante en révélant à Dante et Virgile le paysage infernal. Le tableau fusionne en une image unique deux passages de l’Enfer de Dante, le chant III et le chant VIII. Tant le paysage infernal que les figures, restituent bien le caractère visionnaire de la description de Dante, dans ce qu’il a de plus ténébreux. De même, cette sorte d’arc scénique que forment deux roches habitées par des petits monstres trouve son origine dans les inventions de Callot et Filippo Napoletano. Il s’agit d’une commandé par Ferdinand II de Médicis, ultime protecteur de Livio Mehus.

Dante et Virgile aux Enfers, Livio Mehus et Crescendo Onofri, Florence, Palazzo Pitti.
Dante et Virgile aux Enfers, Livio Mehus et Crescendo Onofri, Florence, Palazzo Pitti.
Dante et Virgile aux Enfers, 1617-1621, Filippo Napoletano, Florence, Galleria degli Uffizi.
Dante et Virgile aux Enfers, 1617-1621, Filippo Napoletano, Florence, Galleria degli Uffizi. Ici, la référence a la Comédie se limite presque exclusivement à la représentation des deux poètes au bord d’une scène infernale.Tant l’invention comme le peuple démoniaque mis en scène par le peintre sont issus des créations de Bosch et des artistes allemands du XVIe siècle.

L’Enfer : Paolo et Francesca

L’histoire du couple d’amants Paolo et Francesca, tirée du chant V de l’Enfer, a joui d’un grand succès dans toute la tradition culturelle occidentale est particulièrement aimé par le XIXe siècle romantique. Les figurations de cette scène se répartissent en types très différents selon le choix du moment précis représenté, choix auquel correspondent aussi différentes façons de traiter le sujet. En premier lieu, il peut s’agir de montrer l’aventure purement terrestre et romanesque de l’amour de deux jeunes gens apparentés (beau-frère et belle-sœur) à l’occasion d’une lecture en commun (le livre qui aurait favorisé l’inclination entre les deux jeunes gens est le roman de chevalerie Lancelot du Lac) ; par l’échange d’un baiser, que peut surprendre ou non le mari légitime de Francesca ou le moment tragique du meurtre des deux amants enlacés (Gaetano Previati au XIXe siècle); ces deux choix figuratifs que l’on ne rencontre que dans la peinture, mettent l’accent sur la reconstitution historique du cadre et du décor de la scène. La destinée des deux amants dans l’au-delà et leur entretien avec Dante (Rossetti chez les Préraphaélites), traité de façon narrative et illustrative, soit les deux âmes seules, dont l’union peut devenir symbole d’un amour presque mystique – et ce dernier type de représentation, est dépouillé de tout détail anecdotique comme chez Boccioni dans Le Rêve ou Paolo et Francesca. L’iconographie du rêve ou du songe d’amour est fréquent dans les avant-gardes du XXe siècle. Dans ce cas, par un artiste du courant futuriste.

Paolo et Francesca da Rimini, 1855, Dante Gabriel Rossetti, Londres, Tate Britain.
Paolo et Francesca da Rimini, 1855, Dante Gabriel Rossetti, Londres, Tate Britain. Le premier compartiment représente l’instant le plus emblématique de la vie terrestre de Paolo et Francesca, l’échange du baiser, péché pour lequel ils sont damnés. Sous les personnages est inscrit un vers de Dante : Quanti dolci penser, quanto disio (« Que de douces pensées, quel désir ») qui exprime la réaction du poète au récit de Francesca.
Le Rêve ou Paolo et Francesca, 1908-1909, Umberto Boccioni, Milan, Collection privée.
Le Rêve ou Paolo et Francesca, 1908-1909, Umberto Boccioni, Milan, Collection privée. Les figures donnent une impression de lévitation, ou même d’ascension, ce qui confère à l’image un caractère onirique.

Dans le très grand peintre du symbolisme, et illustrateur du sublime religieux William Blake le cercle infernal de la luxure devient abstrait, s’attachant plus à la dynamique vertigineuse des mouvements et des lumières qu’à la individualisation des personnages. Blake illustre la toute fin de la scène où Dante, après le récit de Francesca, est saisi de pitié au point de s’évanouir et de tomber à terre aux pieds de Virgile dans le Cercle de la luxure ou dans une séries d’illustrations de la Divine Comédie commandée par John Linnell pour Les Chants de l’innocence où il représente Dante et Virgile à l’entrée de l’enfer. Pour Blake, poésie et peinture devaient se fusionner et constituer un ensemble.

Le Cercle de la luxure, Paolo et Francesca, 1855, 1824-1827, William Blake, Birmingham, Museums and Art Gallery.
Le Cercle de la luxure, Paolo et Francesca, 1855, 1824-1827, William Blake, Birmingham, Museums and Art Gallery.

Chez Ary Scheffer peintre d’origine néerlandais (Dordrecht 1795- Paris 1858), considéré comme le chef de file des romantiques, est particulièrement distingué par la critique qui préfère ses toiles quelque peu moralisantes comme c’est le cas dans Paolo et Francesca (1835) où les très belles et douloureuses figures des deux amants se détachant de façon dramatique et spectaculaire sur l’arrière fond noir ; le peintre concentre sur elles toute son attention et relègue aux deux poètes à l’arrière-plan dans la pénombre.

Paolo et Francesca, 1835, Ary Scheffer, Londres, Wallace Collection.
Paolo et Francesca, 1835, Ary Scheffer, Londres, Wallace Collection.

Le Purgatoire : Pia de Tolomei

Le personnage du poème de Dante, Pia de Tolomei, une patricienne siennoise enfermée par ordre de son mari dans une forteresse dans la Maremme toscane et morte probablement empoisonnée, a fait l’objet au XIXe siècle de toute une série d’œuvres littéraires qui en détaillent l’existence et qui ont inspiré nombre de représentations figuratives. Dante Gabriel Rossetti choisit de représenter librement la réclusion de Pia où divers éléments et procédés iconographiques donnent à la scène une tonalité mélancolique : la pose recueillie du personnage, le regard perdu dans le vide, les doigts étreignant l’anneau nuptial, les teintes et la lumière automnales du paysage marécageux. Autour de la jeune femme sont éparpillés différents objets chargés d’une fonction narrative : un faisceau de lances, l’étendard de l’époux, un livre de prières abandonné ouvert, un chapelet, des lettres d’amour écrites par son mari quand il l’aimait encore. L’effet magique produit chez le lecteur par la brève et intense présence de Pia dans Le Purgatoire a eu un immense écho iconographique dans le goût du XIXe siècle romantique.

Pia de Tolomei, 1868-1880, Dante Gabriel Rossetti, University of Kansas, K.S. Spencer Museum.
Pia de Tolomei, 1868-1880, Dante Gabriel Rossetti, University of Kansas, K.S. Spencer Museum.

L’Enfer : l’Histoire du comte Ugolino

Un exemple prégnant de la reprise des thèmes dantesques et des rapports étroits entre peinture et poésie, est l’histoire d’Ugolino della Gherardesca que l’archevêque de Pisa, Ruggiero degli Ubaldi, par vengeance, fit enfermer dans une tour avec deux de ses fils et deux de ses petits-fils où il meurt de faim le dernier. Il s’agit de l’un des épisodes les plus dramatiques de la Divine Comédie de Dante (Enfer, chant XXXII, 124-139, et chant XXXIII, 1-78). L’aventure tragique et en même temps touchante, représentée en forme d’enluminure dans les premières éditions du poème et dans la sculpture et la peinture d’époque romantique principalement. Le plus souvent l’artiste, avec une intention à la fois narrative et descriptive, représente la prison dans sa reconstitution historique mais surtout à rendre l’expression des passions sur les physionomies et parfois dans une certaine gestuelle théâtral des personnages. Le tableau de Giuseppe Diotti représente le moment où les prisonniers commencent à prendre conscience qu’ils sont condamnées à mourir de faim. Ugolino, pleinement conscient de la situation, découvre, à la lueur d’un faible rayon, son propre aspect sur le visage des enfants : « Je me mordis les deux mains de douleur ». Fidèle à Dante, Diotti nous donne la description nue de la tour par l’ « l’étroit soupirail » qui avait donné à Ugolino la perception du temps écoulé.

Le Conte Ugolino dans la tour, vers 1820, Giuseppe Diotti, Cremona, Museo Civico Ala Ponzone.
Le Conte Ugolino dans la tour, vers 1820, Giuseppe Diotti, Cremona, Museo Civico Ala Ponzone.
Ugolino della Gherardesca, miniature de la Divine Comédie pour Alphonse d’Aragon, chant XXXIII, XVe siècle, Collection privée.

Dans le même sujet, le grand portraitiste anglais qu’était Joshua Reynolds, en coupant les figures à mi-corps dans sa composition, il concentre l’attention du spectateur sur la mimique pathétique des visages et sur leur aspect émacié ou bouleversé : il ne s’agit donc plus tant de rendre une atmosphère que d’étudier les expressions. Reynolds a inscrit au dos du tableau ces vers du poète : « Moi, je ne pleurais pas, mais au-dedans je me pétrifiait : / eux, ils pleuraient ; et mon petit Anselme / dit : « Comme tu nous regardes, père ! qu’as tu ? » / Pour cette raison je ne pleurais ni ne répondis / Tout ce jour là, ni la nuit après, / jusqu’à ce que le soleil se levât de nouveau sur le monde. »

Ugolino et ses fils, 1773, Joshua Reynolds, Koole (Angleterre), National Trust.
Ugolino et ses fils, 1773, Joshua Reynolds, Koole (Angleterre), National Trust.

Dante : Vita Nuova

Œuvre de jeunesse qui couronne la période de la formation culturelle de Dante marquée par le dolce stil nuovo, la Vita Nuova (la vie nouvelle) contient la meilleure part de sa production poétique d’alors : elle est composé selon un système narratif et allégorique centré sur la figure de la femme aimée et annonçant le poème majeur que sera La Divine Comédie. Le récit relate l’amour idéal de Dante pour Béatrice, qu’il rencontre alors qu’elle est une enfant, retrouve dans la fleur de sa jeunesse, à dix-huit ans, et perd du fait de sa mort prématuré, à vingt-cinq ans. La narration est tissée de souvenirs intimes revécus à la lumière d’un système doctrinal et symbolique qui transcende l’autobiographie et vise à représenter une maturation intérieure d’une valeur exemplaire. L’œuvre ne connaît une fortune iconographique que tardivement et presque exclusivement limitée au cercle des préraphaélites, qui non seulement vouent un culte au Moyen Âge et à Dante, mais éprouvent aussi une prédilection pour les récits mêlant profane et sacré, nourris de visions et d’allégories, et exaltés jusqu’à l’extase. Dans Le songe de Dante, Rossetti a voulu illustrer le rêve prémonitoire annonçant à Dante la mort prématurée de sa dame. Il voit en songe le corps de Béatrice morte reposant sur une couche funèbre. Le pavement de la pièce est parsemé de fleurs de pavot, qui symbolisent le sommeil de la mort. La figure angélique est la personnification de l’amour qui reparaît dans toute la Vita Nuova. La vie de Dante fut surtout marquée par son amour de jeunesse pour Bice (Béatrice Portinari). Ce sujet est devenu tellement populaire qu’il est reproduit sur des cartes postales au XIXe siècle publiées comme souvenir de Florence, à la fois pittoresque et folklorique, qui situent la rencontre dans le lieu touristique par excellence qu’est le Ponte Vecchio dans l’art florentin du XVIe siècle

Le songe de Dante au moment de la mort de Béatrice, vers 1848, Dante Gabriel Rossetti, Liverpool, Walker Art Gallery.
Le songe de Dante au moment de la mort de Béatrice, vers 1848, Dante Gabriel Rossetti, Liverpool, Walker Art Gallery.
La Rencontre de Dante avec Béatrice à Florence, carte postale illustré, vers 1850.
La Rencontre de Dante avec Béatrice à Florence, carte postale illustrée, vers 1850.

Bibliographie

  • Rensselaer W. Lee. Ut Pictura Poesis, Humanisme et Théorie de la Peinture, Macula, 1991
  • Peyré, Yves. Peinture et poésie. Le dialogue par le livre. Gallimard, 2001
  • Bergez, Daniel. Littérature et peinture, Armand Colin, 2004.
  • Collectif. Programme et invention dans l’art de la Renaissance, Paris, Somogy 2008
  • Fumagalli, Elena. Florence au grand siècle, entre peinture et littérature, Silvana Editoriale, 2011