Georg Baselitz et l’expressionnisme.
Une des figures de proue du néo-expressionnisme allemand, Georg Baselitz (né Georg Kern, 1938) a exercé une influence considérable en montrant à une génération d’artistes allemands comment aborder les questions d’art et d’identité nationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Brièvement formé au réalisme social officiellement reconnu de Berlin-Est, il s’est rapidement installé à Berlin-Ouest (1956) et a découvert l’art abstrait. Il a finalement rejeté ces deux options. Tandis que d’autres se tournaient vers l’art conceptuel, le Pop Art et l’Arte Povera, Baselitz a renouvelé l’expressionnisme allemand, dénoncé par les nazis, et a redonné à la figure humaine une place centrale dans la peinture.

Collection particulière.
Controversé lors de ses débuts en 1963, et de nouveau controversé près de deux décennies plus tard lorsqu’il commença à produire des sculptures, Baselitz inspira un renouveau de la peinture néo-expressionniste en Allemagne dans les années 1970, et son exemple encouragea de nombreux autres artistes à adopter des styles similaires en Europe et aux États-Unis dans les années 1980. À 87 ans, Georg Baselitz continue à peindre malgré ses problèmes de santé et expose ses nouvelles œuvres à Londres et à Salzbourg.

Georg Baselitz : Les Héros
Parmi les premières séries de Georg Baselitz figurent des images de Héros et de Partisans, peintures brutes et expressives représentant des hommes brisés et vulnérables dans des paysages apocalyptiques et ravagés. Dans presque chaque tableau, une figure masculine solitaire occupe toute la surface. Elles semblent gigantesques, maladroites et légèrement déformées, avec leurs petites têtes et leurs vêtements en lambeaux. Les nuances terreuses de rouge, rose, brun, vert et ocre sont appliquées en couches épaisses, parfois dessinées avec des contours épais. « Je suis un artiste allemand, et mon travail est ancré dans la tradition allemande. Il est laid et expressif », a-t-il déclaré un jour dans une interview.

Daisbourg, Musée d’art moderne ; Londres, Tate Modern.

Bien que la figure ait souvent occupé une place centrale dans la peinture de Baselitz, son approche suggère un profond malaise face à la possibilité de célébrer l’humanité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sa stratégie ultérieure, consistant à représenter des personnages à l’envers, pourrait être interprétée comme une nouvelle reconnaissance de cette même difficulté.
Georg Baselitz : Peindre à l’envers
Revenu de ses engagements politiques, Georg Baselitz était arrivé à une œuvre plus fragmentée, hantée par les réalités de la guerre, mais qui gardait un souffle d’héroïsme. En 1967, l’œuvre de Baselitz connu littéralement une révolution: il commença à peindre ses images à l’envers afin, comme il le déclara, « de libérer l’imagination ». Peintre de manière abstraite était une proposition bien trop nébuleuse pour Baselitz. Il avait besoin d’une image pour donner un sens à l’application de la peinture mais, en même temps, il ne souhaitait pas que la reconnaissance de cette image entrave l’appréciation des couleurs et du travail au pinceau. Peindre à l’envers – c’est-à-dire peindre véritablement à l’envers, et non pas à l’endroit pour ensuite retourner la toile – lui apporta la solution. L’image était un principe ordonnateur pour les pigments de couleur, mais ses pigments pouvaient produire leur impact avant que l’image ne soit reconnue.

Collection particulière.
Peint à partir d’un cliché photographique retourné, le portrait du galeriste Michael Werner, qui fait partie d’une série de portraits d’amis et de proches de l’artiste, produit un effet délibérément déconcertant. Ils comptent parmi les premières peintures dans lesquelles Baselitz a déployé la stratégie d’inversion qui allait le passionner durablement. Grâce à cette conception libératrice de la composition et du concept, il a mis en avant l’autonomie du processus pictural.

New York, Metropolitan Museum.
Basées sur des photographies retournées, ces peintures témoignent de l’intérêt de Baselitz pour l’inversion, une stratégie qui lui a permis de neutraliser le contenu personnel et d’éliminer l’expression individuelle afin de se concentrer sur les possibilités de la peinture elle-même. Cependant, l’artiste a admis que le cas du portrait de sa femme Elke était compliqué : « Je n’illustre pas Elke. Au contraire, j’essaie de la supprimer, mais je n’y parviens généralement pas. Elle s’immisce dans le processus, que je le veuille ou non, à travers mon subconscient ».

Bien que l’intérêt de Baselitz pour la peinture ait contribué à son renouveau dans les années 1970 et 1980, certains estiment que son style trahit une inquiétude quant à sa viabilité dans le monde de la communication de masse. Plutôt que de se délecter des effets luxuriants de la peinture à l’huile, son travail suggère parfois des griffures et des bavures maladroites, un effet qui accentue l’angoisse des personnages qu’il représente.

Baselitz sculpteur
Georg Baselitz a réinventé son œuvre en 1979 en créant des sculptures monumentales en bois. Il s’abstenait de « polir » ses œuvres, laissant la surface ébréchée, rayée et inégale, accentuant ainsi son aspect brut. La réputation de Baselitz en tant qu’artiste visuel remarquable fut confirmée lorsqu’il fut choisi pour représenter l’Allemagne à la Biennale de Venise en 1980. Il y exposa sa première sculpture, Modell für eine Skulptur (Modèle pour une sculpture), une figure en bois grossièrement sculptée qui suscita la controverse en raison de la similitude de son bras levé avec un salut nazi.

Londres, Serpentine Galleries.
Trente ans plus tard, la Staatliche Kunsthalle de Baden-Baden a rendu hommage à la pratique sculpturale de l’artiste. À l’instar de ses peintures, ses sculptures puissantes rejettent toute forme d’harmonie et de symétrie au profit d’une inventivité qui transparaît à travers des formes élémentaires et des lignes irrégulières. Réalisée en 2003 à partir d’un tronc géant de bois de cèdre, Meine neue Mütze incarne la puissance de l’artiste. À l’aide d’une hache et d’une tronçonneuse, Baselitz a insufflé toute son énergie et sa vitalité dans cette sculpture.

Collection particulière.
L’héritage de Georg Baselitz
Explorant presque tous les médiums artistiques, Georg Baselitz s’est imposé comme un artiste visuel de renommée internationale. Son œuvre confronte la réalité viscérale de l’histoire et la tragédie de la condition allemande après la Seconde Guerre mondiale. Baselitz est surtout connu pour ses peintures inversées, qui déplacent le sujet vers les propriétés de la peinture elle-même, créant ainsi non pas une simple toile peinte, mais un objet quasi sculptural. Le caractère anamorphique de ses figures héroïques et rebelles a exercé une influence puissante et internationale sur les artistes néo-expressionnistes.
Bibliographie
- Hans Werner Holzwarth. Georg Baselitz. Le monde à l’envers. Taschen, 2015
- Georg Baselitz. Danse gothique: Écrits et entretiens, 1961-2019. L’Atelier Contemporain, 2020
- Frédérique Goerig-Hergott. Corpus Baselitz. RMN, 2018
- Georg Baselitz. Paroles d’artiste. Fage éditions, 2021

