Art informel, art brut, tachisme

La matière, le geste, le signe graphique

Art informel est le terme utilisé par le critique Michel Tapié en novembre 1952 dans Un art autre pour définir la tendance artistique qui s’affirme dans les années 1950 en Europe, en Amérique et au Japon.

En 1951, il avait organisé une exposition intitulée Véhémences confrontées où il présentait des œuvres de Bryen, Capogrossi, De Kooning, Hartung, Kline, Mathieu, Pollock, Riopelle, Wols, qui avaient en commun soit le traitement expressif de la matière, soit la spontanéité gestuelle. Tous ces peintres excluaient la figuration. Les recherches de l’informel s’attachent donc à explorer les possibilités d’expression de la matière que l’artiste manipule et transforme en objet d’art ; la couleur elle-même, utilisée comme une pâte, devient matière. C’est dans cette direction qui travaillent les Français Jean Fautrier, dont les applications de matériaux plastiques émergent du mélange chromatique, et Jean Dubuffet qui a recours à des éléments très divers ; le Catalan Antoni Tapies, qui réalise de projections sur des murs, des parois, des rideaux de fer ; l’Italien Alberto Burri, qui utilise des bois brulés, des vieux sacs de jute et de la tôle.

L'arbre vert, 1943, Jean Fautrier
L’arbre vert, 1943, Jean Fautrier (Collection privée)

Alberto Burri (Città di Castello 1915-1997) fonde en 1951 avec Giuseppe Capogrossi, Mario Ballocco et Ettore Colla le groupe Origine. Fasciné par les potentialités expressives des matériaux, en 1952 il s’impose au plan international, année où il expose ses premiers tableaux réalisés avec de vieux sacs en lambeaux, des chiffons et des morceaux de tissu moisi, recouverts d’une peinture uniforme posée en aplats.

Sacco 5P, 1959, Alberto Burri
(Città di Castello, Palazzo Albizzini)

Les réalisations d’Antoni Tàpies (Barcelone 1923-2012) apparaissent comme une représentation magique, proche de Miró, déjà caractérisée par l’expérimentation de techniques originales et de différents matériaux (collages, bois brûlés). Fut l’un des fondateurs à Barcelone de la revue et du groupe d’avant-garde Dau al Set  » Dé sur le sept  » 1948) ; il définit sa recherche comme proposition d’une nouvelle matérialité à travers des stratifications de pâte colorée de consistance terreuse où des traces, des signes et des graffitis renvoient aussi à la peinture informelle de Fautrier ou de Dubuffet.

Le chapeau renversé, 1967, Antoni Tàpies
Le chapeau renversé, 1967, Antoni Tàpies (Paris, Centre Pompidou)

Outre les recherches sur la matière, l’art informel découvre la valeur du signe, qui ne sert plus à constituer des formes ou des images, et qui dévient totalement dépourvu d’une signification évidente : Wols, Hans Hartung, Allemands d’origine, mais ayant longtemps vécu en France, les Français Henri Michaux, George Mathieu et Pierre Soulages, les Italiens Emilio Vedova, Afro Basaldella, Giuseppe Capogrossi, Lucio Fontana en font tous un moyen d’expression d’une grande efficacité, même dans l’immense diversité de leurs options personnelles.

It’s All Over The City, 1947, Wols
It’s All Over The City, 1947, Wols (New York, MOMA)
Untitled, 1959, George Mathieu
Untitled, 1959, George Mathieu (New York, Musée Guggenheim)

George Mathieu (1921-2012) maître de l’abstraction lyrique, caractérisée par une sorte d’écriture spontanée, projection inédite d’un état mental, formellement influencée par la calligraphie extrême-orientale.

Immagine del tempo, 1951, Emilio Vedova
Immagine del tempo, 1951, Emilio Vedova (New York, Musée Guggenheim)

L’image du Temps est un événement violent : Emilio Vedova (1919-2006) évoque l’image du temps historique, mais peut être aussi le Big Bang de l’univers.

Afro, nom d’artiste d’Afro Basaldella (1912-1976) peintre italien. Après un voyage aux Etats-Unis où il s’initie aux collages et aux formes gestuelles, il adhère au Gruppo degli Otto (groupe des huit) en 1952. Vers 1960, sa peinture devient proche de l’action painting américaine, mais révèle un raffinement intellectuel original dans sa modulation sophistiquée et sa graphie orientaliste.

San Diego, 1957, Afro
San Diego, 1957, Afro (New York, Musée Guggenheim)

Giuseppe Capogrossi (Rome 1900-1972) après un séjour à Paris, il crée l’École de Rome avec Cavalli et Melli. En 1949, il passe à la peinture non figurative, participant avec Ballocco, Burri et Colla au groupe Origine et signant le VI° Manifesto Spazialista (1953) avec Lucio Fontana, R. Crippa et G. Dova. À cette époque, il réalise la série Surface ; depuis, il part d’un signe ayant la forme d’un trident pour construire les compositions les plus diverses qui aboutissent, malgré l’élément répétitif, à former un langage complet (Surface).

Surface 236, Giuseppe Capogrossi
Surface 236, 1957, Giuseppe Capogrossi
(New York, Musée Guggenheim)

« Je ne veux pas faire un tableau, je veux ouvrir l’espace, créer pour l’art une nouvelle dimension, le rattacher au cosmos, tel qu’il s’étend, infini, au-delà de la surface plate de l’image ». Lucio Fontana

Concept spatial, attente, 1963, Lucio Fontana
Concept spatial, attente, 1963, Lucio Fontana (Collection privée)

Les « entailles » que Lucio Fontana (1899-1968) effectue sur les toiles monochromes constituent l’un des gestes les plus caractéristiques de l’art informel européen.

Le tachisme

Le tachisme côtoie la matière et le signe pour caractériser la technique de l’informel, et utilise plusieurs procédés qui peuvent être présents en même temps dans la même œuvre ou chez le même artiste, comme le démontre la série des Otages (1945-50) de Fautrier. Au Japon, l’un des courants les plus proches des événements informels européens est celui du groupe Gutaj ou Gutai, fondé vers 1950 par le peintre Jiro Yoshihara. Le terme tache fut utilisé par le critique Pierre Guéguen en 1951 pour décrire les développements artistiques de post-guerre. Cependant, il a été utilisé en 1889 par la critique Félix Fénéon pour décrire la technique impressionniste, et à nouveau en 1909 par l’artiste Maurice Denis se référant aux peintres fauves. Mais surtout celle qui, en 1862 valut leur nom aux macchiaioli (littéralement les tachistes) italiens.

Tête d'otage, 1955, Jean Fautrier
Tête d’otage, 1955, Jean Fautrier
(Sceaux, Musée de l’Ile de France)

Il s’agit de l’un des premiers exemples de l’informel où Fautrier (1898-1964) expérimente de nouvelles techniques d’expression sur papier marouflé, où les empâtements donnent la primauté à la matière. Dans la série des « Otages » l’artiste utilise la matière pour révéler la nature psychologique du personnage représenté (l’otage).

Around the Blues, 1957-62, Sam Francis
Around the Blues, 1957-62, Sam Francis (Londres, Tate Modern)

Art Brut

Terme sous lequel le peintre français Jean Dubuffet, après 1945, voulut regrouper tout genre de manifestation expressive « brute », spontanée et immédiate, sans intentions culturelles ni superstructures esthétiques. Dans l’exposition d’art brut qu’il organisa à Paris en 1947 puis dans les Cahiers de l’art brut, il réunit de dessins d’enfants, des œuvres de dilettantes, des expressions graphiques d’aliénés mentaux, des signes anonymes tirés de vieux murs, des pièces et « objets trouvés ». Il partageait par là l’intérêt pour les manifestations artistiques primitives et spontanées qu’avaient eu les fauves, les expressionnistes et les cubistes, et proposait en plein climat informel le style et la technique de l’automatisme, typique des surréalistes. La collection s’enrichit au cours des années. Dubuffet fit don de cette collection à la Suisse, où s’ouvrit à Lausanne le Musée d’Art brut avec Michel Thévoz comme conservateur.

Nœud au chapeau, 1946, Jean Dubuffet
Nœud au chapeau, 1946, Jean Dubuffet
(Stockholm, Moderna Museet)

Les personnages de Dubuffet sont assimilés à une figuration expressionniste, gestuelle, volontairement infantile.

Vicissitudes, 1977, Jean Dubuffet
Vicissitudes, 1977, Jean Dubuffet (Lausanne, Musée d’Art brut)
Pâûlîchinêle gânsthêrs vitrês’he, 1949, Gaston Duf
Pâûlîchinêle gânsthêrs vitrês’he, 1949, Gaston Duf (Lausanne, Musée d’Art brut)