Néo-Dada

Le Néo-Dada : un mouvement d’avant-garde

Le néo-dada ou néo-dadaïsme est un mouvement artistique d’avant-garde qui a vu le jour à la fin des années 1950. La critique d’art Barbara Rose a inventé ce terme en référence aux similitudes du mouvement avec les dadaïstes du début du XXe siècle. Contrairement aux controverses qui avaient entouré le dadaïsme, le néo-dada était un peu plus ludique et ironique. Bien que les deux mouvements cherchent à combler le fossé entre l’art et la vie réelle, les premiers dadaïstes étaient plus résolument anti-art, soulignant dans leurs œuvres l’insignifiance du monde de l’art. Le mouvement néo-dadaïste regroupait des artistes hétéroclites unis par leur exaltation et leur dérision simultanées du mercantilisme et de la culture populaire. Il n’a jamais été un mouvement organisé, mais l’une des nombreuses étiquettes appliquées à la fin des années 1950 et dans les années 1960 à un groupe de jeunes artistes expérimentaux, dont beaucoup d’entre eux étaient basés à New York et dont leur œuvre a également suscité une intense controverse. À l’époque, la principale tendance artistique tendait vers la pureté formelle, comme l’illustrent les œuvres de l’Abstraction post-picturale. En opposition délibérée à cette tendance, les néo-dadaïstes ont commencé à mélanger les matériaux et les médias dans un esprit humoristique, intelligent et excentrique. Le terme néo-dada ou néo-daïsme est parfois utilisé comme terme générique pour un grand nombre de nouveaux mouvements apparus dans les années 1950 et 1960, tels que le Lettrisme, le Beat Art, le Funk Art, le Nouveau Réalisme et l’Internationale Situationniste.

Trophy II (foor Tenny and Marcel Duchamp), 1961, Robert Rauschenberg
Trophy II (foor Tenny and Marcel Duchamp), 1961, Robert Rauschenberg, Minneapolis, Walquer Art Center.

Pour des artistes tels que Robert Rauschenberg (1925-2008), Jasper Johns (né en 1930), Larry Rivers (1923-2002), John Chamberlain (1927-2011), Richard Stankiewicz (1922-1983), Lee Bontecou (né en 1931), Jim Dine (né en 1935), Claes Oldenburg (né en 1929), l’art doit être expansif et inclusif, s’approprier les matériaux extérieurs à l’art, embrasser la réalité quotidienne et acclamer la culture populaire. Ils ont rejeté l’aliénation et l’individualisme associés à l’expressionnisme abstrait en faveur de la socialisation de l’art, qui met l’accent sur la collectivité et son environnement. Les néo-dadaïstes ont travaillé sur des projets avec des poètes, des musiciens et des danseurs, et ont attiré d’autres artistes partageant les mêmes idées, comme les Nouveaux réalistes. Le résultat est une esthétique basée sur de multiples expérimentations.

Essex, 1960, John Chamberlain
Essex, 1960, John Chamberlain, New York, The Museum of Modern Art (MoMA)
Pleasure-Paletten, 1969, Jim Dine
Pleasure-Paletten, 1969, Jim Dine, Cologne, Ludwig Museum.
Sans Titre, 1960, Lee Bontecou
Sans Titre, 1960, Lee Bontecou, New York, Whitney Museum of American Art.
Drag : Johnson et Mao, 1967, Jim Dine
Drag : Johnson et Mao, 1967, Jim Dine, Londres, Tate Modern.

En utilisant des « choses que l’esprit connaît déjà » (drapeaux, cibles, chiffres, lettres), Jasper Johns a créé des œuvres ambiguës et troublantes, qui sont devenues en même temps des peintures abstraites et des signes conventionnels. L’ambiguïté et l’engagement sociopolitique, tous deux tirés du dadaïsme, sont des caractéristiques typiques des néo-dadaïstes.

Figures 0-9 (Colour Numeral Series), 1969, Jasper Johns
Figures 0-9 (Colour Numeral Series), 1969, Jasper Johns, Collection privée.

L’intérêt pour le mouvement Dada et les œuvres de Marcel Duchamp, surtout aux États-Unis, avec l’attitude dadaïste du « tout est permis », a été adopté par les artistes du néo-dada qui, comme les premiers dadaïstes, ont utilisé des matériaux peu orthodoxes en protestation contre la tradition du grand art. Les collages de Pablo Picasso et de Kurt Schwitters, les ready-mades de Duchamp et les efforts des surréalistes pour transformer le « merveilleux » des objets quotidiens en un langage partagé avec le public, ont été d’importantes sources d’inspiration. Les idées du nouvel art étaient également en harmonie avec les nouvelles idées de la critique. L’œuvre de Jackson Pollock a été réinterprétée par l’artiste Allan Kaprow, mais en s’orientant vers le monde de la vie quotidienne plutôt que vers l’abstraction pure. L’œuvre Baby est une « action-collage », composée d’objets assemblés au hasard et juxtaposés à des morceaux découpés dans les propres peintures de Kaprow. Le seul élément cohérent et ordonné de la composition, est la disposition formelle des éléments en bandes verticales. Kaprow a produit l’œuvre selon un processus frénétique et rituel, influencé par la qualité gestuelle de l’action painting de Pollock. Kaprow fait écho aux « combinaisons » (Combine paintings) de Robert Rauschenberg dans sa synthèse de la technique de Pollock avec l’influence du compositeur John Cage. Kaprow s’était orienté vers une forme tridimensionnelle « sans attaches » et utilisait de plus en plus d’objets trouvés et des matériaux du quotidien pour tenter de réconcilier l’art avec l’expérience quotidienne, ce qui allait devenir son objectif ultime.

Baby, 1957, Allan Kaprow
Baby, 1957, Allan Kaprow, Collection privée.

Allan Kaprow, disciple de John Cage, est connu comme le créateur des Happenings – les performances multidisciplinaires de la fin des années 1950 et des années 1960. Exécutée en 1956, l’œuvre Hysteria est un autre exemple des premières incursions de l’artiste dans l’action painting, démontrant le langage visuel fortement gestuel qui l’amènera finalement à sortir son art des limites de la toile et à se libérer, seulement quelques années plus tard, de la peinture par une action réelle et vivante. Kaprow a converti le concept d’expérience vécue et de perception préconisé par son maître, en paramètres permettant l’irruption de la réalité dans l’art, sous une forme qui englobe la totalité de la vie.

Hysteria, Allan Kaprow on the Legacy of Jackson Pollock, 1956
Hysteria, Allan Kaprow on the Legacy of Jackson Pollock, 1956, Collection privée.

Cage & Cunningham : la fusion des disciplines artistiques

Parmi les contemporains les plus influents du mouvement néo-dada figurent le compositeur John Cage (Los Angeles, 1912 – New York, 1992) et le chorégraphe Merce Cunningham (Centralia, Washington 1919 – New York, 2009). Comme de nombreuses œuvres néo-dadaïstes, les compositions mixtes de Cage et ses collaborations avec le danseur Merce Cunningham encouragent le recours au hasard et à l’expérimentation et exaltent l’environnement social. Cage, a exploré le son en utilisant des instruments non conventionnels et des éléments multimédias. Lorsqu’il était professeur à la New School for Social Research de New York à la fin des années 1950, il initie ses élèves à des situations complexes, en leur enseignant le principe du hasard et en leur fournissant des techniques de conjugaison des sons et des actions. La composition John Cage 4’33 (1952) impliquait que ses musiciens et interprètes restent silencieux pendant toute la durée de la pièce. C’est dans une large mesure la source des différents « arts d’action » qui sont entrés dans l’histoire de l’art sous les appellations Happening et Fluxus. Son partenaire créatif et romantique, le danseur et chorégraphe Merce Cunningham a été à l’avant-garde de la danse américaine depuis plus de 50 ans. À l’âge de vingt ans, Cunningham étudie à la Martha Graham Dance Company. En 1953, il fonde la Merce Cunningham Dance Company. Outre le compositeur John Cage, Cunningham a collaboré dans les années 1950 et 1960 avec d’autres artistes de renom : Robert Rauschenberg, Jasper Johns, Andy Warhol et Roy Lichtenstein. Il a développé un style chorégraphique influencé par les idées de hasard et de chance, comme en témoignent Sixteen Dances for Soloist and Company of Three (1951) et Suite by Chance (1953).

Scanning, 1963, Exploration. Robert Rauschenberg
Scanning, 1963, Exploration. Robert Rauschenberg, San Francisco, Museum of Art.

Œuvres clés du Néo-Dada

Les œuvres clés du néo-dada sont Washington Crossing the Delaware (1953) de Larry Rivers, les Combines (1954-1964) de Rauschenberg et Map (basée sur Dymaxion Air Ocean World) (1967-1971) de Buckminster Fuller. La réinterprétation par Rivers du célèbre tableau d’Emanuel Leutze, datant du XIXe siècle, a été accueillie avec dérision par le monde de l’art new-yorkais lors de sa première exposition. Avec son traitement de type expressionniste abstrait et ses compositions « contaminées » par la peinture d’histoire et par un art figuratif désuet, Rivers était considéré comme un artiste irrévérencieux envers les maîtres du passé et du présent. En général, ses œuvres témoignent d’une volonté de s’inspirer d’un large éventail de sources, ce qui permet de le comparer aux œuvres du mouvement post-moderne, même si sa production échappe à toute étiquette stylistique dans l’histoire de l’art. L’authenticité des drapeaux dans l’œuvre de Jasper Johns (un objet familier réinterprété) a amené les gens à s’interroger sur son statut d’objet : « était-ce un drapeau ou une peinture ? ». Aussi, les innovations de Rauschenberg ont remis en question et étendu les frontières de l’art. Bien qu’ils aient créé des œuvres complètement différentes, Rauschenberg, Johns et Rivers étaient unis par leur transformation de l’expressionnisme abstrait, leur irrévérence envers la tradition et leur utilisation de l’iconographie américaine. L’influence de ces trois artistes sur des mouvements ultérieurs tels que le pop art, l’art conceptuel, l’art minimaliste et l’art de la performance est considérable.

Washington Crossing the Delaware, 1953, Larry Rivers
Washington Crossing the Delaware, 1953, Larry Rivers, New York, The Museum of Modern Art.
Talisman, peinture combinée, 1958, Robert Rauschenberg
Talisman, peinture combinée, 1958, Robert Rauschenberg, Collection privée.

L’œuvre Revolving Friendship between the United States and France (1961), une collaboration entre Larry Rivers et Jean Tinguely du Nouveau Réalisme, est à bien des égards (outre son caractère essentiellement optimiste) un projet néo-dadaïste. Tournant comme la Terre, il présente la possibilité et l’attrait de la coexistence pacifique, et acclame la présence du commerce (symbolisé par les images de paquets de cigarettes américains et français) pour établir des échanges culturels à tous les niveaux. En partie machine et en partie peinture, la collaboration (une caractéristique du travail néo-dadaïste) reconnaît de manière festive l’existence d’une communauté d’artistes au-delà des frontières nationales, à une époque où le thème des frontières était une inquiétude majeure de la politique internationale. De même, la Carte de Johns, basée sur celle de Fuller, offre une image puissante de ce nouveau monde de l’art interconnecté et de l’esprit de collaboration entre l’art et la technologie.

Carte (basée sur le Dymaxion Air Ocean World de Buckminster Fuller), 1967-1971, Jasper Johns
Carte (basée sur le Dymaxion Air Ocean World de Buckminster Fuller), 1967-1971, Jasper Johns, Cologne, Museum Ludwig.
Revolving Friendship between United States and France, 1962, Larry Rivers et Jean Tingueley
Revolving Friendship between United States and France, 1962, Larry Rivers et Jean Tingueley, Madrid, Museo Reina Sofía.

En raison de leur hétérogénéité, les artistes du néo-dadaïsme ont exercé une puissante influence. Leur vocabulaire visuel, leurs techniques et, surtout, leur détermination à se faire entendre, ont été adoptés par des artistes ultérieurs dans leur protestation contre la guerre du Viêt Nam, le racisme, le sexisme et la police gouvernementale. L’importance qu’ils accordent à l’art de la performance se reflète dans leur activisme, qui a façonné la politique de l’art à la fin des années 1960 ; leur concept d’appartenance à une communauté mondiale a anticipé les protestations anti-militaires, les plaidoyers en faveur de politiques climatiques, les grèves étudiantes et les manifestations pour les droits civiques qui allaient suivre.


Bibliographie

Hapgood, Susan. Neo-Dada: Redefining Art 1958-62. Universe Publishing, 1994
Riout, Denys. Néo-Dada. Des artistes acteurs d’une réévaluation
Lussac, Olivier. Happening and Fluxus. L’Harmattan. 2004
Archer, Michael. L’Art depuis 1960. L’Univers de l’Art, 1999
Collectif. L’Art du XXe siècle. Taschen, 2005