Expressionnisme abstrait

Action Painting.

En 1950, le philosophe et critique d’art américain Harold Rosenberg (1906-1978) qualifie la première tendance artistique de l’expressionnisme abstrait d’action paintig pour désigner un secteur particulier de l’école de New York et qui s’insère dans le cadre de la poétique de l’art informel, avec une position d’avant-garde par rapport à l’Europe elle-même.

Dans ce mouvement, l’action, le geste de peindre (art gestuel) a une importance fondamentale, qu’il faut interpréter non comme un simple geste automatique, mais comme l’extension directe sur le tableau de l’expérience de l’artiste. Parmi les principaux représentants de l’action painting, il faut citer Jakson Pollock, qui privilégie la technique du dripping (projection de gouttes de peintures sur la toile) ; Willem de Kooning, qui reprend la violence coloriste des expressionnistes (d’où le terme d’expressionnisme abstrait), Franz Kline et Robert Motherwell.

Photographie de Jackson Pollock en action
Photographie de Jackson Pollock en action

Jackson Pollock

Jackson Pollock (Cody, Wyoming 1912 – Springs, Long Island 1956) passe son enfance et adolescence en Arizone et en Californie, où il découvre les dessins rituels sur le sable des Indiens Navajo. En 1929, il s’installe à New York où il suit les cours du peintre régionaliste Benton à l’Art Students League et travaille, entre 1938 et 1942, pour le Federal Art Project. Il découvre la peinture de Picasso et les dessins préparatoires du Guernica, puis l’œuvre de Kandinsky et de Miró. Vers 1938, il est attiré par la peinture du Mexicain Orozco, et crée entre entre 1942 et 1947 des toiles all-over représentant des images mythiques et primitives (La Femme-Lune coupe le cercle, 1943) et s’appuie de plus en plus sur une écriture automatique inspirée de l’œuvre d’André Masson (Pasiphae, 1943, New York, MOMA). À partir de 1946, il abandonne tout signe identifiable, se concentre sur le geste qui applique le signe au pinceau et passe à la frontalité (Bruits dans l’herbe : substance luisante, 1946, New York, MOMA).

La Femme-Lune coupe le cercle, 1943, Jackson Pollock
La Femme-Lune coupe le cercle, 1943, Jackson Pollock
(Paris, Centre Pompidou)

La vie de Pollock présente des aspects romanesques. Il passe ainsi sa jeunesse auprès des Indiens Navajo (les dessins rituels tracés sur le sable le marquent durablement).

Circoncision, 1946, Jackson Pollock
Circoncision, 1946, Jackson Pollock (Venise, Collection Peggy Guggenheim)
Gardians du secret, 1943, Jackson Pollock
Gardians du secret, 1943, Jackson Pollock (San Francisco Museum of Art)

La technique du dripping all over

En 1947, Pollock inaugure la technique du dripping all over en s’impliquant avec tout son corps dans le geste qui balance ou laisse couler la peinture sur la toile posée au sol, créant ainsi un lacis de lignes entremêlées (Silver over Black, Withe, Yellow and Red, 1948). Il utilise plusieurs couleurs et ajoute parfois des éléments étrangers à la peinture (sable, verre brisé, ficelle, clous…). Pour Pollock, qui a connu l’art tribal et « primitif », l’acte même de peindre prend une signification symbolique. Son mode de travail, désigné par l’expression action painting, inclut une très forte composante physique et gestuelle. Il se déroule selon une sorte de « ballet » autour de la toile étendue sur le sol. Pollock devient ainsi l’un des peintres fondateurs de l’informel et anticipe le concept de performance de l’artiste. Suivi par d’autres peintres de la New York School, il soutient que le mouvement du corps effectué par l’artiste pour étendre la couleur sur la toile, fait partie intégrante de l’opération picturale. Le geste et l’action deviennent des moments clefs du processus artistique.

Argent sur noir, blanc, jaune et rouge, 1948, Jackson Pollock
Silver over Black, Withe, Yellow and Red (Argent sur noir, blanc, jaune et rouge), 1948,
Jackson Pollock (Paris Centre Pompidou)

Dans ses peintures, souvent de grandes dimensions, on reconnaît parfois des idées empruntées à d’autres maîtres du XXe siècle. Cependant, il est certain que l’arrivée de Pollock sur la scène de la peinture internationale a provoqué une fracture nette avec la tradition historique. En particulier, Pollock attribue une grande importance au hasard. Employant la technique du dripping, il projette ou laisse s’écouler des pots entiers de peinture sur des toiles posées à terre, et non sur un chevalet. En 1950, il réintroduit la forme humaine, reprenant les sujets de sa période mythique pour les faire revivre par la technique du dripping. L’année suivante, il abandonne la couleur pour n’employer que le noir (Echo: Number 25, 1951) ou verse une encre noire qui imbibe le centre de la toile telle une fracture (The Deep, 1953, Paris, Centre Pompidou).

Echo: Number 25, 1951, Jackson Pollock
Echo: Number 25, 1951, Jackson Pollock (New York, MOMA)

Pollock fait école surtout grâce à ses toiles qui possèdent un impact expressif majeur et s’est imposé avec De Kooning comme un des maîtres de l’expressionnisme abstrait. D’autres maîtres de l’informel, comme Sam Francis et Franz Kline, s’inspirent du concept de l’action painting. Le peintre Lee Krasner qu’il épouse en 1949, deviendra l’une de ses principales héritières artistiques.

Blue poles, 1953, Jackson Pollock
Blue poles, 1953, Jackson Pollock (Camberra, Australian National Gallery)

Willem de Kooning

Willem de Kooning (Rotterdam 1904-1997) après avoir fait des études à l’Académie des arts et techniques de Rotterdam, il se rend aux États-Unis en 1926 et s’établit à New York. Dès les années 1930-40, il supprime le modelé et tend vers la planéité. Il aborde l’abstraction par la fragmentation de la figure humaine et par les biais des natures mortes. Ce n’est qu’à partir de 1946, pour conclure une lente et graduelle recherche stylistique, que l’artiste s’impose comme l’un des maîtres, aux côtés de Pollock, de la nouvelle action painting américaine. Il s’appuie sur le non-prémédité de l’acte de peindre avec une touche qui insiste sur l’utilisation de la brosse et du couteau plus que sur le dripping. A partir de 1950, il se concentre sur le geste pictural et emploie des couleurs vives ; sa recherche alterne entre abstraction et figuration. En 1951, il commence la série des femmes, Women, traitée avec un style violent et cru. En 1955, il revient à l’abstraction en simplifiant son tracé, en amplifiant le geste et en créant de larges surfaces colorées dominées par des axes verticaux et horizontaux où la lumière tient une importance primordiale (Untitled, 1976, Paris, Centre Pompidou). En 1960, la figure féminine réapparait, plus provocante que lors de la première série.

Woman I, 1950-52, Willem de Kooning
Woman I, 1950-52, Willem de Kooning (New York, MOMA)
Merrit Parkway, 1959, Willem de Kooning
Merrit Parkway, 1959, Willem de Kooning
(Detroit, Institute of Arts)
Untitled, 1976, Willem de Kooning
Untitled, 1976, Willem de Kooning (Paris, Centre Pompidou)
Untitled XI, 1975, Willem de Kooning
Untitled XI, 1975, Willem de Kooning (Chicago, Art Institute)

Les œuvres de De Kooning ne se détachent jamais complètement du monde objectif et montrent un intérêt constant pour la figure humaine. À partir de 1969 De Kooning s’est également intéressé à la sculpture, de manière très personnelle, en rendant au volume son importance par la technique du modelage, en créant des figures à demi achevées, à mi-chemin de l’abstraction et de la figuration (The Clam Digger, 1972)

The Clam Digger, 1972, Willem de Kooning
The Clam Digger, 1972,
Willem de Kooning (Paris, Centre Pompidou)

Franz Kline

Franz Kline (1910-1962) expose pour la première fois en 1950 et s’impose immédiatement comme l’un des protagonistes de l’action painting; Dès le début, la ville est le thème prépondérant de sa peinture : New York notamment avec son trafic et les scènes de la via métropolitaine ; jusque dans l’œuvre abstraite de la maturité, les grands montants noirs et les larges gestes qui composent ses toiles expriment les grands espaces, les tensions, les contradictions, mais également la beauté de l’immense métropole (Black and White. N° 1, 1952). En 1957, il revient a la couleur et crée des compositions plus denses et plus complexes (Jaune, rouge, vert, bleu, 1956).

White Forms, 1955, Franz Kline, New York, MOMA
White Forms, 1955, Franz Kline (New York, MOMA)
Reflections, 1959, Franz Kline
Reflections, 1959, Franz Kline (New York, Metropolitan Museum)

Robert Motherwell

Robert Motherwell (1915-1991) en 1948 il fonde à New York avec William Baziotes, Barnett Newman et Marc Rothko, l’école Subjects of the Artist (qui devient ensuite The Club). En 1949, il commence la série de peintures intitulée Élégies à la République espagnole, qui exprime une réelle tension dramatique. Ce travail dure jusqu’en 1967, et mêle à la fois le style color-field et la gestualité de l’expressionnisme abstrait. Une vigoureuse rhétorique caractérise également ses œuvres suivantes, généralement de dimensions monumentales ou destinées au décor mural, aux grandes zones de couleur brillante où se détache un signe essentiel (Le Voyage : dix ans après, 1961). Motherwell réalise parallèlement une série de collages d’une veine plus intime.

Le Voyage : dix ans après, 1961, Robert Motherwell
Le Voyage : dix ans après, 1961, Robert Motherwell (Bilbao, Museo Guggenheim)
Elegy to the Spanish Republic No. 110, 1971, Robert Motherwell
Elegy to the Spanish Republic No. 110, 1971, Robert Motherwell
(New York, Salomon R. Guggenheim)