Il Vecchietta

L’assimilation des nouvelles tendances

Le peintre Lorenzo di Pietro, dit Vecchietta, se présente comme un compromis entre la tradition siennoise et le nouvel humanisme florentin – ce qui lui permit de servir d’intermédiaire en 1458, à un moment où le climat culturel se modifiait de façon décisive, avec l’élection du pape siennois Pie II (Aeneas Silvius Piccolomini, 1405-1464).

Issu d’une famille de la noblesse exilée de Sienne, grandit à Corsignano, ville selon lui « de petite renommée ». Il attira l’attention d’abord comme humaniste et poète en langue latine.En 1446, il entra dans les ordres, et servit comme légat papal en Écosse et en Autriche avant de devenir évêque de Sienne. Pie II se mit en tête de transformer la modeste ville de Corsignano en « cité idéale de Pienza », faisant construire le long de son palais une cathédrale. La façade de son palais, albertienne ainsi que celle de la cathédrale, furent construites par un élève d’Alberti, Bernardo Rossellino. Vecchietta fut chargé de diriger l’exécution d’une série de retables abandonnant la forme traditionnelle du polyptyque siennois au profit d’un rectangle régulier, la pittura quadrata florentine. Florence était déjà une ville dominée par un quadrillage, une géométrie incarnant les aspirations à la raison et à l’intellectualité. Dans la Madone à l’Enfant de Domenico di Bartolo, le caractère particulier de la recherche siennoise se marque : les inscriptions dévotes sont mises en valeur par une disposition en perspective tout à fait inattendue et originale ; l’effet est très brillant au niveau du détail et cet état d’esprit peut aller jusqu’à la mise au point subtile, presque secrète : des notes de musique à peine visibles sont gravées sur le fond d’or pour compléter le raffinement concret des instruments. La recherche devient presque gratuite et Domenico di Bartolo abandonnera ensuite son modernisme spatial et lumineux pour des œuvres plus traditionalistes.

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Madone à l’Enfant avec des anges musiciens, 1443, Domenico di Bartolo
(Sienne, Pinacothèque Nationale)

Ce chef-d’œuvre porte une épigraphe avec une invocation passionnée de style humaniste. Ce tableau constitue l’exemple le plus significatif d’une parfaite et bien précoce assimilation, réalisée par un peintre siennois, du langage figuratif de la première Renaissance florentine. Réalisé au début de la carrière du peintre, cette œuvre manifeste une conscience remarquable des recherches florentines les plus neuves, celles de Filippo Lippi en particulier, avec son modelé lumineux et solide, le traitement plastique des volumes et la volonté de varier les expressions, sensible en particulier dans le visage des anges. Tout cela aboutit à une image vivante, frémissante.

Lorenzo di Pietro, dit il Vecchietta

Peintre et sculpteur, Lorenzo di Pietro, dit il Vecchietta, né à Castiglione d’Orcia près de Sienne vers 1412 avec de longues années de carrière artistique puisqu’il est mort en 1480, connaît parfaitement, et sans doute de manière directe, l’art de la Renaissance, car il s’est probablement formé à Florence, puis il a travaillé, dans les années Trente, avec Masolino à Castiglione d’Olona. Il sut parfaitement intégrer les principaux éléments de cette culture à la tradition siennoise. À l’Hôpital Santa Maria della Scala il réalisa une des scènes du cycle du Pellegrinaio, le Rêve de la mère du bienheureux Sorore. Entre 1446 et 1449, il peignit à fresque l’ancienne sacristie dans le même ensemble de bâtiments. De l’hôpital provient aussi l’Arliquiera, armoire peinte qui servait à abriter les reliques et qui fut commandée au Vecchietta en 1445.

Rêve de la mère du bienheureux Sorore, vers 1440, Il Vecchietta
Rêve de la mère du bienheureux Sorore, vers 1440,
Il Vecchietta, (Sienne, Complexe des musées de Santa Maria della Scala)
Arliquiera, 1445, Il Vecchietta
Arliquiera, 1445, Il Vecchietta (Sienne, Pinacothèque Nationale)

Cette armoire qui servait à abriter les reliques fut commandée à Il Vecchietta en 1445. Sur la partie antérieure des volets, on trouve l' »Annonciation », la « Crucifixion » et la « Résurrection » en haut, ainsi qu’une série de saints et de bienheureux qui sont représentés en entier et qui évoquent la grâce de Masolino. L’intérieur est décoré par les scènes de la « Passion du Christ », encadrées par un solide agencement de la perspective.

Le bienheureux Agostino Novello, arliquiera, Vecchietta
Le bienheureux Agostino Novello nommant le nouveau dirigeant de l’hôpital, panneau de l’Arliquiera, 1445, Il Vecchietta (Sienne, Pinacothèque Nationale)

En 1450, année de la canonisation de saint Bernardin, Il Vecchietta fut chargé de peindre à fresque les murs et la voûte du Baptistère. Cette œuvre, la plus complète qu’on ait réalisée à Sienne dans cette période, prouve que le peintre a pleinement assimilé le répertoire de la Renaissance. Une même culture composite (éléments siennois et florentins, formalisme, sens de la narration gothique, naturalisme renaissant), marquée par des accents expressifs et dramatiques et un dessin raffiné, se manifeste dans l’œuvre de Il Vecchietta.

Montée au Calvaire, 1450, Il Vecchietta
Montée au Calvaire, 1450, Il Vecchietta (Sienne, Baptistère)

À la fois au niveau de l’encadrement architectural des scènes, du rendu des anatomies et des raccourcis du paysage, le peintre prouve qu’il a pleinement assimilé le répertoire de la Renaissance et qu’il sait l’utiliser avec une grande maîtrise et l’enrichir par des idées de composition insolites qui dénotent une grande richesse d’invention.

Miracle de saint Antoine, 1450, Lorenzo di Pietro, dit Il Vecchietta
Miracle de saint Antoine, 1450, Lorenzo di Pietro, dit Il Vecchietta
(Sienne, Baptistère)

Domenico di Bartolo

L’activité documenté de Domenico di Bartolo est connue à Sienne entre 1428 – 1447, sa date de naissance nous est inconnue, mais nous savons qu’il était inscrit à l’Art des Peintres en 1428. Selon Vasari qui admire sa « fertilité » et son « intégrité », Domenico était le neveu de Taddeo di Bartolo. Ce lien de parenté a souvent été mis en doute, mais semble plausible d’un point de vue stylistique, les deux peintres partageant un même goût pour la ligne. Sa formation fut complétée à Florence, où il étudia les œuvres de Masaccio, de Filippo Lippi, de Donatello, dont il perçut la nouveauté dans la conception du modelé et de la perspective. C’est lui qui eut le mérite de réaliser la première œuvre siennoise se rattachant clairement au style Renaissance. Dans la Madone à l’Enfant, le peintre dépassa incontestablement toutes ses tentatives précédentes plus ou moins timides de renouvellement. Par la suite, ayant perdu le contact avec les milieux orientés vers un renouvellement plus dynamique du langage figuratif, sa peinture devient plus populaire, mais non dépourvue de savoureux accents descriptifs (fresques du Pellegrinaio, à l’hôpital de Sienne, 1440). À l’Hospice des Pèlerins de Santa Maria della Scala à Sienne, aux côtés de Il Vecchietta, Domenico di Bartolo représenta des épisodes légendaires et historiques en rapport avec les origines de l’hôpital et des scènes exemplaires sur l’activité quotidienne de l’institution, comme le Les Soins aux Malades et la Distribution des aumônes. Dans ces compositions pleines à craquer et fastueuses, on voit contraster avec le réalisme cru, quasi caricatural, des personnages, la complication du fond et des architectures où l’artiste fait preuve d’une inspiration exubérante et d’une grande habilité dans les combinaisons perspectives.

Soins aux malades, 1440, Domenico di Bartolo
Soins aux malades, 1440, Domenico di Bartolo (Sienne, Complexe des musées de Santa Maria della Scala, salle du « Pellegrinaio »)

L’importance de ce  cycle de fresques réside surtout dans son grand intérêt documentaire, en tant qu’il représente fidèlement la vie et les mœurs d’une grande institution hospitalière de l’époque. Un document atteste la présence de l’Hôpital Santa Maria della Scala en 1090, mais il fut fondé bien avant. Il demeura partiellement en service jusqu’en 1992. Un de ses derniers patients célèbres fut l’écrivain Italo Calvino qui y mourut.

Distribution de aumônes, 1440, Domenico di Bartolo
Distribution de aumônes, 1440, Domenico di Bartolo (Sienne, Complexe des musées de Santa Maria della Scala, salle du « Pellegrinaio »)
La Naissance de saint Jean-Baptiste,  Domenico di Bartolo
La Naissance de saint Jean-Baptiste (plateau d’accouchée), vers 1440, Domenico di Bartolo
(Venise, Ca’ d’Oro, Galleria Franchetti)

Le plateau d’accouchée (« desco del parto » en italien), était donné à l’occasion de la naissance du premier enfant dans les familles aisées de la Renaissance italienne. Des œuvres réalisées en « tondo » (peinture ronde) par de grands peintres y figuraient de chaque côté. Ici, au recto apparaît la représentation de la naissance de saint Jean-Baptiste, et sur le verso sont représentés deux putti jouant dans un jardin, qui fait peut-être référence à la naissance de deux jumeaux.

Les peintres d’Asciano (le Maître de l’Observance)

En 1940, plusieurs panneaux dont tout le monde s’accordait à penser qu’ils avaient été peints par Sassetta furent attribués par Roberto Longhi à un autre peintre, le Maître de l’Observance (actif vers 1430-1450). Du nom de l’endroit où se trouve son chef d’œuvre, le Maestro dell’Osservanza est resté un peintre anonyme, mais on ne peut manquer de remarquer ses affinités avec le style de Sassetta, celui de tendance plus ouvertement gothique. Néanmoins l’œuvre du « Maestro » possède des accents beaucoup plus archaïques. Son triptyque situé dans la basilique de l’Osservanza de Sienne, représente la Madone avec l’Enfant, saint Ambroise et saint Jérôme (1436). On s’est basé sur cette œuvre pour reconstruire le catalogue du peintre, qui – pour certains – ne serait autre que le jeune Sano di Pietro, encore fortement sur l’influence de Sassetta. Le tableau de l’Osservanza comporte effectivement de nombreux indices permettant de rattacher l’œuvre aux deux principaux représentants de l’école siennoise du début du Quattrocento. Parmi le petit nombre d’œuvres attribuées au Maestro dell’Osservanza se distinguent la Naissance de la Vierge du Musée d’Asciano et une partie des petits triptyques à volets conçus pour la dévotion privée.

Nativité de la Vierge, Maître de l'Observance
Nativité de la Vierge, Maître de l’Observance, (Asciano, Museo Civico Archeologico)

Le tableau datable entre 1437 et 1439 se révèle un véritable chef-d’œuvre : le peintre y montre un souci des détails raffinés qui rappellent le gothique international de Gentile da Fabriano ; de plus, la scène présente une composition rythmée par la succession de personnages féminins qui, comme dans une pièce de théâtre, jouent le rôle avec une grande compétence. La construction du décor conçu en perspective traduit des nouveautés spatiales et un grand soin dans le rendu des détails, par exemple : la fenêtre en verre polychrome derrière le lit de sainte Anne, le merveilleux manteau de velours de la dame assise sur le banc ; toutefois ces aspects se conjuguent encore à des éléments d’une tradition bien établie comme la profusion de l’or et la richesse des coloris.

Un autre chef-d’œuvre du Maître de l’Osservanza, ce sont les Histoires de saint Antoine, aujourd’hui dispersées dans des musées, elles entouraient jadis une image du saint qui est au Louvre. Ces petits panneaux sont d’une poésie tellement intense, d’une maîtrise de style tellement exquise et raffinée dans l’œuvre du peintre, malgré sa culture versatile. Le récit s’organise dans des textures spatiales que, sous leur première forme, Sienne connaissait déjà depuis plus d’un siècle, avec les histoires de la Bienheureuse Humilité de Pietro Lorenzetti. Nous y retrouvons tout semblables, lumineux et nus, ces décors de murailles posées de biais pour montrer leur arête, touffes d’arbres pour délimiter, comme sur de minuscules scènes de théâtre, des paysages enchanteurs.

Saint Antoine distribuant ses richesses aux pauvres, Anonyme Siennois
Saint Antoine distribuant ses richesses aux pauvres, vers 1440, Maître de l’Observance,
(Washington, National Gallery)

Antoine se trouve dans son palais : on le voit d’abord de profil, bourse à la main, en train de descendre des escaliers, puis dans la rue, habillé de son costume cramoisi doublé de fourrure, entouré de nécessiteux : un va-nu-pieds, un homme courbé, une veuve vêtue d’une robe rapiécée mendiant pour ses enfants. Deux aveugles sont sur le point de se croiser, l’un d’entre eux est bravement dirigé par un charmant terrier noir et blanc. Bien que cette mise en scène d’une rue de l’époque paraisse simple, aucun peintre n’avait jamais aussi bien chorégraphie les déplacements des passants.

Le Rencontre de saint Antoine et de saint Paul l'ermite, Maître de l'Observance
Le Rencontre de saint Antoine et de saint Paul l’ermite, vers 1440,
Maître de l’Observance,
(New York, Metropolitan Museum)

Ce panneau a été découvert en 1931 par l’historien de l’art britannique Ellis Waterhouse dans une salle de bains de Piccadilly. Antoine brise sa solitude et retourne à la camaraderie humaine. Les deux vieillards ont posé à terre leur bâton jaune au moment de leur rencontre.

Résurrection, vers 1445, Maître de l'Observance
Résurrection, vers 1445, Maître de l’Observance,
(Detroit, Institute of Arts)

Selon les historiens, les peintures qui sont attribuées au Maître de l’Observance semblent fort disparates pour être l’œuvre d’un seul et même artiste. L’hypothèse la plus plausible qu’ils invoquent est qu’elles soient le produit d’un atelier au sein de lequel collaborèrent plusieurs maîtres, notamment le jeune Sano di Pietro ainsi que Sassetta lui-même. Le retable de la Nativité de la Vierge, peint pour la petite ville agricole d’Asciano, suggère une personnalité artistique fort différente de celle du peintre des panneaux de Saint Antoine. Au musée d’Asciano, l’élégance de la Nativité située dans le décor d’un palais contraste clairement avec un chef-d’œuvre plus inattendu, l’Adoration des Bergers de Pietro di Giovanni d’Ambrogio. Peintre longtemps inconnu, cette œuvre montre la sévère originalité de son style que lui vient d’une assimilation des faits artistiques les plus viables de son temps. Il adopte un idiome rustique s’inspirant d’un retable florentin analogue de Bicci di Lorenzo. Appelé aussi avec le surnom de Puccio, pictor et affabilis juvenis, ses dernières œuvres (il mourut très jeune) accueillent dans une proportion croissante des éléments siennois, plus proches de Il Vecchietta.

L'Adoration des Bergers, 1443, Pietro di Giovanni d'Ambrogio
L’Adoration des Bergers, 1443, Pietro di Giovanni d’Ambrogio
(Asciano, Musée d’Art Sacré)

Cette aimable Adoration se trouvait autrefois à Saint Augustin d’Asciano. Fut attribuée à Pietro par Cavalcasselle, s’inspirant d’une œuvre analogue du florentin Bicci di Lorenzo. Mais si Giovanni alla à Florence, ainsi qu’on le suppose, il dut regarder aussi Paolo Uccello, Fra Angelico et Filippo Lippi. Soigneusement emmailloté, l’Enfant aux yeux ronds est tourné vers l’extérieur et placé sous le regard bienveillant des bêtes, la corne du bœuf délicatement représentée derrière l’oreille de l’âne. Le panorama nocturne de ce paysage étonnant, qui s’étend au-delà de la crèche (que domine une grande chouette qui regarde un chien qui pointe, presque de l’extérieur de la scène, sa tête et ses pattes héraldiques), à travers le damier des champs et jusqu’aux eaux sombres d’un lac.