La peinture troubadour

Les artistes troubadour.

À l’aube du XIXe siècle, de jeunes artistes, issus de l’atelier de Jacques-Louis David – Fleury Richard, Pierre Révoil, Paul Delaroche, François Marius Granet, Auguste de Forbin… -, redécouvrent l’art du Moyen Âge et de la Renaissance, et délaissent les sujets antiques. Ils renouvellent également la peinture d’histoire, par le biais de l’anecdote et des sentiments, dans un esprit proche de la scène de genre. Cette transgression volontaire de la hiérarchie académique des genres, conduit la critique à proposer une nouvelle catégorie, celle du genre « anecdotique », dont les représentants sont réunis ultérieurement sous le vocable de « troubadours ». Ceux-ci privilégient de petits formats et une facture minutieuse, influencés par la peinture hollandaise du XVIIe siècle, très appréciée par les amateurs. Le Musée des Monuments français (1795-1815), joue un rôle déterminant dans la redécouverte de l’histoire de l’Ancien Régime, et la naissance d’un goût particulier pour le Moyen Âge. En effet, les élèves de David qui deviendront les chefs de file du courant troubadour, le fréquentent assidument.

Les Enfants d’Édouard, 1830, Paul Delaroche
Les Enfants d’Édouard, 1830, Paul Delaroche, Paris, musée du Louvre.

Fleury Richard avoue avoir trouvé l’inspiration pour son tableau Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans dans les salles même du musée, séduit par la devise de la jeune femme gravée sur son gisant : « Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien ». C’est en 1802 que l’artiste présente cette œuvre au Salon parisien qui deviendra le manifeste du style troubadour. Fille de Jean-Galéas Visconti, duc de Milan, et d’Isabelle de France, Valentine épouse en 1389 Louis de France, fils de Charles V et futur duc d’Orléans. Ce dernier est assassiné en 1407 par son cousin en rival, Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Richard ne choisit pas de présenter le moment historique de l’assassinat du duc, mais les lamentations de sa veuve retirée au château de Blois venant d’écrire ce qui deviendra sa devise. La narration à une seule figure, marquée par la mélancolie. L’architecture médiévale, la lumière diffuse pénétrant par une fenêtre à vitraux colorés, en partie voilée par un rideau de taffetas vert, sont les éléments clés du succès de l’artiste.

Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans, 1802, Fleury Richard
Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans, 1802, Fleury Richard,
Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.

Le Musée des Monuments français

Fruit de la Révolution française le Musée des Monuments français fut institué en 1795, réunissant les œuvres saisies sur les émigrés et dans les établissements ecclésiastiques. À Paris, celui des Petits-Augustins, fut confié au médiéviste français Alexandre Lenoir (1761-1839). C’est ainsi qu’il recueillit le tombeau de la famille de Commynes, les Trois Grâces de Germain Pilon, entre autres œuvres. En 1794, Lenoir avait fait déplacer les gisants de Saint Dénis, après avoir assisté à l’ouverture des sépultures en octobre 1793. La salle du XIIIe siècle dans l’ancienne sacristie, fut, d’après le catalogue de l’an V, l’une des premières à être aménagée. Dans Vue de la salle du XIVe siècle, dit La Folie de Charles VI, le peintre s’est attaché à représenter avec précision son décor foisonnant qui fait la part belle à l’architecture et à la sculpture funéraire. L’arcature séparant la salle abrite les statues provenant de la Sainte-Chapelle, de même que la figure d’Adam récupérée à Notre-Dame de Paris, visible à l’arrière-plan du tableau.

Vue de la salle du XIVe siècle au Musée des Monuments français, Charles-Marie Bouton
Vue de la salle du XIVe siècle au Musée des Monuments français, dit La Folie de Charles VI, Charles-Marie Bouton (Paris, 1781-1853),
Bourg-en-Bresse, Monastère Royal de Brou.

Les aménagements de ce musée relevaient d’avantage de la mise en scène théâtrale que de l’étude scientifique, Lenoir n’hésitant jamais, dans la recherche de l’« effet », à modifier, mutiler, compléter ou assembler arbitrairement les œuvres dont il avait la garde. Si certains érudits s’indignèrent de ces falsifications et de ces anachronismes, le public en général et de nombreux artistes en particulier, furent sensibles à l’atmosphère envoûtante qui se dégageait des lieux.

Vue de la salle du XIIIe siècle, aquarelle, Jean Lubin Vauzelle
Vue de la salle du XIIIe siècle, aquarelle, Jean Lubin Vauzelle, Paris, musée du Louvre.

L’autre attrait exercé par le Musée des Monuments français sur les artistes autant que sur le public était la constante mise en scène de personnages, hommes et femmes, de l’histoire de France. Le visiteur rencontrait Blanche de Castille et Diane de Poitiers, le connétable de Montmorency et bien d’autres. Aussi, dans plusieurs tableaux de Fleury Richard apparaissent des personnages présents dans le musée : ainsi Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans ou de Charles VII faisant ses adieux à Agnès Sorel.

Charles VII écrivant ses adieux à Agnès Sorel, 1802, Fleury Richard
Charles VII écrivant ses adieux à Agnès Sorel, 1802, Fleury Richard, Rueil-Malmaison, Musée national des châteaux de Malmaison

Dans le tableau Vue de la salle du XVIIe siècle de Léon Mathieu Cochereau, deux jeunes élégantes contemplent la statue d’Henry IV par Barthélemy Tremblai, placée dans l’ombre. La figure du « bon roi », incarne la sagesse et la bonté de la monarchie française. Les autres monuments visibles témoignent de l’importance donnée par Lenoir aux hommes de lettres et aux artistes. Ainsi, la réduction de la statue équestre de Louis XIV pour la place Vendôme est disposée à proximité de la statue en terre cuite de Pierre Corneille par Jean-Jacques Caffieri. Plusieurs bustes en marbre complètent le dispositif.

Vue de la salle du XVIIe siècle au musée des Monuments français, Léon Mathieu Cochereau, 1817
Vue de la salle du XVIIe siècle au musée des Monuments français, attribué à Léon Mathieu Cochereau, 1817, Reims, musée des Beaux-Arts.

Le musée des Monuments français, a largement contribué à la redécouverte du Moyen Âge en France. On sait l’influence qu’eurent sur les artistes les mises en scène d’Alexandre Lenoir ; comme Ingres, Granet ou Révoil, Fleury Richard se rendait souvent au dépôt des Petits-Augustins. Leur démarche a connu des nombreux prolongements en France et à l’étranger.

Style troubadour et châteaux gothiques

L’artiste « troubadour » ne pouvait se contenter de peindre un château, comme sujet exclusif de ses compositions, sur le mode contemplatif de la peinture paysagère, car son ambition, étant avant tout de faire revivre un souvenir historique dans son cadre architectural. L’épisode, aussi bien que le cadre, composés, tendent autant que possible à la ressemblance, voire à la reconstitution documentée, mais peuvent être aussi amplement réinventés. Le tableau de Millin du Perreaux, Maison dite d’Agnès Sorel, à Beaulieu, faubourg de Loches, est encore appelée Hôtel de Beauté. Bâti après 1450, date de la mort de la favorite de Charles VII, l’artiste illustre une scène bucolique comme une vision de ce « passé idéal » qui affectionnaient les artistes troubadour.

Maison dite d’Agnès Sorel, 1829, Millin du Perreux
Maison dite d’Agnès Sorel, 1829, Millin du Perreux, Tours, musée des Beaux-Arts.

Avant le XIXe siècle, les représentations de Jeanne d’Arc sont extrêmement rares. C’est la tragédie du poète allemand Friedrich von Schiller Die Jungfrau von Orléans, crée en 1801 et traduite en français dès l’année suivante, qui marque le point de départ de la réhabilitation historique et artistique de Jeanne d’Arc. Dans son tableau Jeanne d’Arc au château de Loches, Millin du Perreux représente l’épisode « Après avoir fait lever le siège d’Orléans, Jeanne d’Arc est reçue par Charles VII ». Les figurants entourant la Pucelle et le Dauphin sortent de part et d’autre de deux portes ouvertes, comme dans un décor de théâtre. En apparence, le peintre donne du « logis royal » de Loches une représentation réaliste, presque documentaire, conforme à l’état des lieux dans les années 1810.

Jeanne d’Arc au château de Loches, 1819, Millin du Perreux
Jeanne d’Arc au château de Loches, 1819, Millin du Perreux, Tours, musée des Beaux-Arts.

Dans de nombreux cas, quand l’anecdote historique se déroule dans un édifice imaginaire contenant un vitrail, celui-ci a aussi pour fonction d’indiquer la période, en raison de son fort pouvoir d’évocation. En ce début du XIXe siècle, alors qui ne se fait plus de vitraux en France depuis le XVIIe siècle, leur capacité à stimuler l’imagination est quelque peu surprenante. Il faut sans doute y voir un effet bénéfique de musée des Monuments français ouvert en 1793, où Alexandre Lenoir a recueilli des vestiges de vitraux originaires de plusieurs églises parisiennes.

René d’Anjou chez Palamède de Forbin, 1820, Pierre Révoil
René d’Anjou chez Palamède de Forbin, 1820, Pierre Révoil, Collection privée.

Dans le tableau François Ier et Marguerite de Navarre de Fleury Richard, le roi montre à Marguerite de Navarre les vers qu’il vient d’écrire sur une vitre avec son diamant : « Souvent femme varie,/ Bien fol est qui s’y fie ». La plupart du temps, les scènes figurées sur les vitraux apportent un contrepoint iconographique à la scène principale, lorsqu’elles instaurent un dialogue avec le sujet de l’œuvre.

François Ier et Marguerite de Navarre, 1804, Fleury Richard
François Ier et Marguerite de Navarre, 1804, Fleury Richard, Suisse, Arenenberg, Salenstein.

Pierre Révoil : Le Tournoi

Dans sa quête d’une reconstitution presque archéologique du passé Pierre Révoil présente au Salon de 1812 une scène de tournoi. Il précède son travail d’importantes recherches, par la consultation de manuscrits enluminés conservés à la Bibliothèque impériale, en particulier un ensemble d’études d’après des enluminures réalisées par Bathélemy d’Eyck pour le Livre des tournois de René d’Anjou. La scène se déroule à Rennes, en 1337, lors d’une joute, un jeune chevalier à l’identité inconnue triomphe de tous ses adversaires successifs. L’un des vaincus parvient alors à soulever la visière du heaume de ce mystérieux preux, qui se révèle être Bertrand Du Guesclin (vers 1320-1380), futur connétable de France, à qui son père avait interdit de prendre part à ce tournoi. Le héraut sonne sa victoire et l’un des juges, placés dans la tribune centrale, lui décerne pour trophée un cygne d’argent. Bien que la source de cet épisode ne soit pas cité, il s’agit vraisemblablement de l’Histoire de Bertrand Du Guesclin de Guyard de Berville (1767), qui avait connu en 1807 une réédition. Révoil il en relève de nombreux détails qu’il met à profit pour élaborer différents personnages de son œuvre. La double page montrant le rassemblement des tournoyeurs révèle ainsi des similitudes certaines avec la composition de ce tableau. Dans ce souci de vérité encore, l’olifant dans lequel souffle l’héraut d’armes serait inspiré par une pièce d’Italie du Sud de la fin du XIX siècle alors dans la collection de l’artiste.

Le Tournoi, 1812, Pierre Révoil
Le Tournoi, 1812, Pierre Révoil, Lyon, musée des Beaux-Arts.

Mythes romantiques : Héloïse et Abélard

Diffusé par la livre, la gravure, la peinture et l’image, le culte d’Héloïse et Abélard, les deux amants réunis dans la mort, après avoir été unis par le mariage puis séparés par la cloître, émeut les sensibilités romantiques en relation avec le tombeau reconstitué par Alexandre Lenoir dans le jardin des Monuments français à partir de 1800 et transféré au cimetière du Père-Lachaise. La fortune légendaire et littéraire d’Héloïse et Abélard tient aussi aux prolongements que les écrivains ont donné au récit de leurs amours, dès le Moyen Âge. François Villon introduit Héloïse parmi les belles dames « des neiges d’antan ». Pétrarque, détenteur d’un manuscrit précieux du XIIIe siècle, dut associer Héloïse au souvenir de Laure. Toute la charge effective et mémorielle accumulée par les textes, les variantes, les versions imagées et les tableaux se condense dans la rituel de la visite au tombeau, véritable lieu de mémoire à succès reconstitué par Lenoir. Au Salon de 1812, Jean Antoine Laurent expose Héloïse embrassant la vie monastique : L’argument de la scène d’intérieur néo-gothique, où Héloïse défaille, le corps ployé, tandis que la religieuse ôte de su vue le portrait de son mari, Pierre Abélard. Héloïse, vêtue d’une robe très simple et d’une tunique bleue sertie de pierres précieuses, est à genoux en train de prier, une bible ouverte devant elle. Autour de la jeune femme sont encore réunis des objets de sa vie publique : son manteau sur une chaise, une écharpe en fine mousseline, un livre relié en cuir, une boîte à bijoux. Héloïse d’Argenteuil (vers 1094-1164), en 1118 prenait officiellement le voile.

Héloïse embrassant la vie monastique, 1812, Jean Antoine Laurent
Héloïse embrassant la vie monastique, 1812, Jean Antoine Laurent, Areneberg (Suisse), Napoleonmuseum.

L’imagerie dite d’Épinal introduit Héloïse et Abélard, à côté de Robinson et de Paul et Virginie, dans le répertoire de ses « histoires par quatre », annonciatrices de la bande dessinée, dans une gravure sur bois aux coloris chatoyants. Sur les côtés, un « précis sur les amours d’Héloïse et Abélard » résume sommairement l’argument : « La pauvre Héloïse, retirée au fond d’un cloître, expia par d’éternelles larmes ses innocents ardeurs, et sera toujours avec Abeilard le modèle des amants ». Alors que les vignettes n’évoquent que les épisodes heureux des amours des héros et montrent Héloïse en mariée, le texte rappelle le triste dénouement et sa tonalité émouvante et mélancolique.

Histoire d’Héloïse et d’Abelard, gravure, 1830, Pellerin, image populaire, Épinal
Histoire d’Héloïse et d’Abelard, gravure, années 1830, Pellerin, image populaire, Épinal, Marseille, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

À l’arrière-plan de la deuxième vignette, celle des amour heureuses, figure l’évocation très stylisée d’une fabrique gothique, tout à la fois fontaine à l’eau jaillissante, symbole amoureux et préfiguration du tombeau. Le Moyen Âge et des contes pour enfants se met en forme.

Bibliographie
  • François Pupil. Le Style troubadour, ou la Nostalgie du bon vieux temps. Nancy, 1985.
  • Francis Haskell. L’Historien et les images. Gallimard, 1995
  • Marie Claude Chaudonneret. Peinture et Histoire dans les années 1820-1830. Actes Sud, 2004
  • Collectif. L’invention du passé. Cat. Exp. Hazan, 2014