Milan après Léonard

Les disciples de Léonard (les leonardeschi)

La peinture de Léonard inspire toute une série de disciples de manière directe ou indirecte. On les a appelés les leonardeschi et ils se sont surtout spécialisés, dès le début du XVIe siècle, dans la réélaboration de modèles iconographiques tels ceux de la Cène et de la Vierge aux Rochers.

Parmi ces artistes, citons Giovanni Antonio Boltraffio, Cesare da Sesto, Francesco Melzi, Ambrogio de Predis, Giampietrino, Bernardino Luini, Marco d’Oggiono, Andrea Solario, Salaino, et beaucoup d’autres. Élèves que Léonard avait attiré autour de lui pendant son premier séjour milanais, qu’il traite avec une générosité et une affection presque paternelles, comme il se dégage de ses annotations, indulgent alors même que leur comportement – comme dans le cas de Salaino, jeune homme d’une grande beauté, mais bizarre et plein de toutes sortes de défauts caractériels – pouvait donner lieu à des réactions sévères et des punitions. Occupations intenses et affections étaient donc les caractéristiques principales du premier séjour milanais de Léonard, qui résulte un point décisif et la période peut-être la plus importante de sa vie de savant, d’artiste et d’homme. Revenu à Milan en 1506 pour achever la Vierge aux Rochers, il semble alors se concentrer sur ses recherches scientifiques qu’il note dans ses abondants feuillets observations écrites et illustrées sur les phénomènes de la nature, de la lumière, des mécanismes du corps humain, des mouvements de l’âme.

Portrait de femme, vers 1525, Bernardino Luini
Portrait de femme, vers 1525, Bernardino Luini (Washington, National Gallery)

Dans la tradition de Léonard, Bernardino Luini enveloppe le visage de son portrait de femme dans un sfumato léonardien, estompant la peau dans une brume qui lui donne un aspect vaporeux. Tous ses effets illustrent la grande influence du maître sur les artistes contemporains.

Giovan Antonio Boltraffio

Giovan Antonio Boltraffio (Milan 1466/67-1516) a été l’un des premiers et peut-être le plus intéressant des élèves de Léonard de Vinci quant il est arrivé à Milan en 1488. Une telle culture est visible dans le Retable Cassio (1500) pour l’église de la Miséricorde à Bologne, aujourd’hui au Louvre, et dans la Sainte Barbe commandée en 1502 pour la congrégation de Santa Maria in San Celso, à Milan (aujourd’hui à Berlin, Staatliche Museen). Après la disposition ample et solide du Retable Cassio apparaissent, dans la Vierge à l’Enfant et les saints de 1508 (retable pour la cathédrale de Lodi, aujourd’hui à Budapest Museum), un fond de toile inspiré de la Vierge aux Rochers et un style plus léché qui, dans les personnages, rappelle Andrea Solario. Les portraits de Boltraffio sont d’une importance particulière : tout en se référant à Léonard (au point que certaines œuvres, comme le Musicien de la Pinacoteca Ambrosiana de Milan, furent attribués soit à l’un soit à l’autre artiste), élabora une conception plus attentive aux données du réel et à l’interprétation psychologique du personnage : Portrait de Girolamo Cassio (Milan, Brera) ; Ses Madones sont très connues, variations élégantes et impeccables sur des schémas de Léonard. Dans l’exquise Vierge à l’Enfant du Museo Poldi Pezzoli de Milan, qui compte parmi les chefs-d’œuvre de l’art lombard du XVe siècle, par sa qualité picturale et stylistique, est évidente la formation de Boltraffio dans l’atelier de Léonard, et peut-être basée sur des dessins de Léonard lui-même. L’influence du maître toscan cependant est évidente, en particulier en ce qui concerne les gestes de l’Enfant et de la Vierge, dont les mouvements sont au même temps reliés et en opposition. Ce sens d’énergie retenue caractérise le travail de Léonard et de ses élèves.

Vierge à l’Enfant, 1485-1490, Giovanni Antonio Boltraffio
Vierge à l’Enfant, 1485-1490, Giovanni Antonio Boltraffio (Milan, Museo Poldi Pezzoli)

La Vierge porte une robe de velours vert, représentée avec un grand réalisme. Le chardon dessiné sur le tissu, symbolise la rédemption de l’humanité par la Passion du Christ. Le jasmin que la Madone prend du pot en premier plan est un attribut de Marie, tandis que la rose rouge vers laquelle tend la main l’Enfant, évoque sa Passion future. L’ensemble du tableau peut être lu comme une préfiguration du sacrifice de Jésus, qui semblent faire allusion, aussi bien le visage mélancolique de la Vierge, que le regard intense et conscient de l’Enfant. Durant les dix dernières années du Quattrocento, Giovanni Antonio Boltraffio s’était affirmé comme le plus subtil des élèves de Léonard. Mais le rendu du modèle est plus ferme et les volumes sont plus définis chez Boltraffio, témoignage d’une recherche autonome dans le domaine où Léonard avait ouvert de nouveaux horizons.

Bernardino Luini

De Bernadino Luini (1480/85 – 1532), on ne connaît pas l’activité de sa période initiale. Dans ses premières œuvres connues ( Douleur du Christ, vers 1510, à Santa Maria della Passione à Milan ; la Vierge à l’Enfant de 1512, dans l’abbaye de Chiaravalle près de Milan, ainsi qu’à la décoration de la chapelle du Saint-Sacrement à San Giorgio al Palazzo de 1516, toujours à Milan) Luini modela successivement son style sur Zenale, sur Foppa, sur Bramantino et sur Léonard de Vinci. Il arriva ainsi à des solutions figuratives et à des schémas de composition extrêmement sobres et simplifiés (empruntés peut-être aussi aux tableaux mais surtout aux fresques de Raphaël) qu’il conservera tout au long de son activité. De telles solutions mettent en évidence chez Luini, une veine narrative extrêmement subtile et convaincante ainsi qu’une puissance d’expression qui, même pour les thèmes les plus dramatiques, semble toujours contenue et atténuée. Parmi les fresques les plus suggestifs de Luini figurent celles de la villa de la Pelucca (réalisées entre 1521 et 1523), celles du monastère Maggiore de Milan (vers 1522-1525), et celles qui sont réalisées vers 1525 à Saronno, au sanctuaire de la Beata Vergine dei Miracoli. Dans les œuvres des dix dernières années, Luini resta également fidèle à son style « très délicat et agréable » (Vasari) : de nombreuses et gracieuses Vierges à l’Enfant. Par exemple, la Madone de la Roseraie de Brera, provenant de la chartreuse de Pavie, la Crucifixion de Santa Maria degli Angeli à Lugano de 1529 et les Scènes de la vie de Sainte Catherine dans la chapelle Besozzi du grand monastère de Milan, de 1530.

L'Adoration des Mages, 1525, Bernardino Luini
L'Adoration des Mages, vers 1525, Bernardino Luini
L’Adoration des Mages, détails, vers 1525, Bernardino Luini
(Saronno, Sanctuaire de la Beata Vergine dei Miracoli)

Entre 1524 et 1532, Luini exécuta dans l’avant chapelle, la chapelle et le chœur du Sanctuaire de la Beata Vergine dei Miracoli de Saronno, un cycle de fresques sur l’enfance de Jésus et différentes figures de sibylles, saints et anges. L' »Adoration des Mages » peut-être divisée en trois parties : dans la partie supérieure, un chœur de putti d’une grande qualité technique ; au centre, le cortège de Mages, caractérisé par la présence d’animaux exotiques ; sur la partie inférieure est représentée la donation des Mages ; deux d’entre eux se trouvant à genoux devant la Vierge et l’Enfant, suivant la tradition iconographique.

Ange, Bernadino Luini
Ange, vers 1522-1525, Bernadino Luini
(Milan, San Maurizio, Monasterio Maggiore)

Luini réalisa, avec l’aide de collaborateurs, le grand cycle de fresques dans la double église conventuelle de San Maurizio al Monasterio Maggiore, entre 1522 et 1530. Le gouverneur de Milan et son épouse Ippolita Sforza lui avaient commandé les dessins et l’artiste les a d’ailleurs représentés tous deux avec des habits luxueux dans une des lunettes. Ces fresques sont peuplées de figures d’une grâce mélancolique et exquise qui était propre à Luini. L’artiste excelle aussi dans le rapprochement délicat des tonalités évoquant la « sfumato » de Léonard.

L’art de Bernardino Luini est aussi un art dénué d’intellectualisme, enraciné dans une clarté naturaliste à laquelle Léonard a suggéré des finesses picturales et physionomiques dont on saisit des exemples délicats dans les fresques détachées de Santa Maria della Pace et de la villa della Pelucca.

Récolte de la manne, Bernardino Luini
La Récolte de la manne, fresque détachée, 1520-1523, Bernardino Luini (Milan, Pinacoteca di Brera)

Cette fresque provient de la villa della Pelucca, près de Milan et représente la scène biblique de l’Exode des Hébreux. Les gestes et les mouvements de la vie quotidienne rendus par Luini sont d’une fraîcheur et d’une spontanéité remarquables. Les allées et venues, le pliage et le ramassage, tombent tous dans un modèle musical, dont le paysage est partie intégrante.

Luini est mentionné parmi les disciples de Léonard de Vinci et les sources le situent aussi dans l’atelier d’un artiste secondaire qui aurait travaillé à Milan entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle. Bernardino avait une connaissance profonde de la peinture de Léonard de Vinci, dont les concepts appliqués dans ses peintures, en particulier dans le domaine de la composition et de la technique (le sfumato). Il a également étudié les œuvres de Raphaël et de la peinture vénitienne.

Vierge à l'Enfant et le petit Saint-Jean, 1523-1525, Bernardino Luini
Vierge à l'Enfant, Bernardino Luini
Vierge à l’Enfant et le petit Saint-Jean, 1523-1525, Bernardino Luini
(Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza)

Le peintre a placé les figures principales sur un paysage séparé d’une prairie par un muret de pierres. La Vierge, dont le visage rappelle le style idéalisé de la « Vierge aux Rochers » de Léonard, soutient avec délicatesse l’Enfant par la poitrine et par un de ses pieds. Jésus tend les mains vers l’agneau, agenouillé devant lui, lequel est caressé par le petit Saint-Jean. Cette composition d’une grande douceur est complétée par une vue qui met en évidence la présence d’éléments du Nord de l’Italie autour du lac de Côme. À gauche, sur la prairie, Luini a placé l’âne et le bœuf à côté d’une figure masculine qui pourrait être Joseph. Dans cette peinture, l’artiste obtient une bonne combinaison chromatique par le contraste entre des grandes superficies de couleurs, comme celui qui se produit entre le rouge de la robe de Marie et le vert intense de la végétation.

Cesare da Sesto

Cesare da Sesto (Sesto Calende, Varese 1477 – Milan 1523), est considéré comme un des élèves de Léonard de Vinci, à la fin du premier séjour milanais du maître (entre 1482-1499) dont l’influence marquera à tout jamais le style et l’inspiration du peintre. La Léda et le cygne de Wilton House est une copie du tableau aujourd’hui disparu de Léonard de Vinci, et la Vierge à l’Enfant et l’agneau du musée Poldi de Milan (peinte sans doute vers 1515) est une variante de la Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus du Louvre. Cesare fut, selon Vasari, collaborateur de Baldassare Peruzzi à Rome jusqu’en 1510 (c’est sans doute à cette occasion qu’il rencontre Raphaël). Il suit Peruzzi à Ostie de 1511 à 1513 pour peindre les fresques du Palais Episcopal, lorsque le cardinal Raffaele Riario, neveu du pape mécène Jules II, vient s’y installer. Il voyagea ensuite dans l’Italie méridionale (Messine, Naples vers 1514-1520), influençant par ses œuvres (Adoration des Mages, Naples, Musée Capodimonte), l’école locale de peinture (Andrea de Salerno) dans le sens du classicisme. La forte influence de Léonard, visible dans les œuvres de la première manière (Salomé de Vienne) ; Baptême du Christ (Milan, Collection Gallarati-Scotti) : la réalisation du paysage serait due à C. Bernazzano est tempéré, dans les tableaux suivants, par une assimilation originale du style de Raphaël (Polyptyque de saint Roch, 1523, Milan, Castello Sforzesco).

Étude pour Léda, Léonard de Vinci
Étude pour la tête de Léda, 1503-1507,
Léonard de Vinci (Windsor, Bibliothèque Royale)
La Vierge et l'Enfant et l'agneau 1510-1515, Cesare da Sesto
La Vierge et l’Enfant et l’agneau, 1510-1515, Cesare da Sesto (Milan, Museo Poldi Pezzoli).

Francesco Melzi

Francesco Melzi (Milan ? 1493 – Vaprio d’Adda vers 1570). Ce peintre italien issu de la noblesse milanaise, il entre dans l’atelier de Léonard vers 1508. Ami de Léonard, il le suivit à Rome (1513), lorsqu’il s’y rendit attiré peut-être par la réputation de mécène de Léon X Médicis. Léonard note dans son carnet : « Je quitte Milan pour Rome, le 24 septembre avec Giovanni Francesco (Melzi), Salai, Lorenzo et Fanfoia ». Melzi suit Léonard en France en 1516, devenant son légataire universel. Il lui laisse ses manuscrits, tous ses instruments, ses dessins et ses livres. Rentré en Italie, Melzi remporte avec lui les manuscrits de Léonard et rédige le Traité de peinture (Trattato della Pittura) que Léonard avait projeté d’écrire. Dans la production picturale de Melzi, hypothétiquement reconstruite autour d’un unique tableau signé et daté : l’Homme au perroquet et d’un Dessin de vieillard documenté (1516, Milan, Pinacothèque Ambrosienne), affleurent les suggestions du maître avec un goût naturaliste prononcé comme dans Vertumne et Pomone (Berlin, Staatliche Museen).

Portrait d'homme au perroquet, vers 1515, Francesco Melzi
Portrait d’homme au perroquet, vers 1515, Francesco Melzi (Milan, Collection Privée)
Vertumne et Pomone, 1517-1520, Francesco Melzi
Vertumne et Pomone, 1517-1520, Francesco Melzi (Berlin, Staatliche Museen)

Le sujet de ce tableau est tiré des « Métamorphoses » d’Ovide. Le dieu des jardins, Vertumne, est amoureux de la belle Pomone. « Un jour, ayant couvert sa tête d’une coiffe peinte, et entouré ses tempes de cheveux gris, il s’appuie courbé sur un bâton, et sous les traits flétris d’une vieille, pénètre dans les jardins de Pomone. D’abord, il admire la beauté des fruits, et plus encore celle de la Nymphe qui les cultive. À la louange succèdent quelques baisers, mais des baisers tels qu’une vieille n’en donna jamais. Il s’assied ensuite sur un tertre que couvre un gazon frais, et regarde les arbres dont les rameaux chargés de fruits plient inclinés vers la terre. Non loin, un ormeau spacieux soutient une vigne où les grappes abondent : il loue l’union de la vigne et de l’ormeau… » Ce couple heureux et immortel vieillit et se rajeunit périodiquement sans jamais mourir.

Parmi les autres artistes importants du moment, il faut mentionner Andrea Solario (Milan vers 1465 – 1525). Frère et élève de Cristoforo (auteur du remarquable monument funéraire de Ludovic le More et de sa femme. De son séjour vénitien, Andrea est revenu enrichi d’une expérience qui, partant de Bellini et très marquée par le passage de Dürer à Venise en 1494 (la Crucifixion du Louvre), et par Antonello da Messina (Portrait d’homme de la Pinacoteca di Brera à Milan). De retour à Milan, où l’activité artistique était alors dominée par Bergognone et surtout par Léonard de Vinci, il réussit à garder une position autonome grâce à son passé vénitien.

La Crucifixion, 1503, Andrea Solario
La Crucifixion, 1503, Andrea Solario (Paris, musée du Louvre)

Cette œuvre caractéristique de la jeunesse de Solario est déterminée par son probable voyage à Venise vers 1495, dont l’ampleur lumineuse de la composition est marquée par l’art de Bellini ; les attitudes des personnages, et la minutie des détails pittoresques évoquent alternativement Carpaccio et Dürer (présent à Venise en 1494-1495). L’œuvre est signée et datée sur la pierre en bas à droite: ANDREAS MEDIOLANENSIS FA.

Portrait d'homme, vers 1500, Andrea Solario
Portrait d’homme, vers 1500, Andrea Solario (Milan, Pinacoteca di Brera)

Ce portrait dérive du travail d’Antonello da Messina, dont l’influence était toujours très vivante dans l’art du portrait dans l’Italie du Nord à l’époque d’Andrea Solario. La lumière s’étend et vibre dans le clair-obscur de son visage, comme si l’on voudrait adoucir les traits de son expression.

Bartolomeo Suardi, dit Bramantino

Dans l’œuvre picturale de Bartolomeo Suardi, dit Bramantino (Milan vers 1465 – vers 1530) on trouve la suite la plus intéressante de la présence lombarde de Bramante et de ses spéculations sur la perspective, dont il avait laissé une trace dans les fresques Hommes d’Armes. Les œuvres de Bramantino se distinguent par leur mystérieux symbolisme et par des figures si essentielles qu’elles finissent par inquiéter. Les architectures puissantes confèrent un aspect surréel à ses compositions monumentales, hardiment construites. Même pendant la crise qui suivit la défaite des Sforza, son art ne perdit en rien de son originalité et cohérence. C’est toute une évolution picturale qui se fait jour.Son goût architectural et illusionniste fut accentué par sa relation avec Bramante dont Bramantino, comme son surnom l’indique fut un étroit collaborateur (Argus, Milan, Castello Sforzesco). Au début de 1500, à la suite d’un voyage probable en Italie centrale, Bramantino atteignit sa pleine maturité classique avec des créations qui se distinguent par un traitement harmonieux des volumes et par un cadrage rigoureux de la composition (Epiphanie, Londres, National Gallery), s’imposant comme le peintre le plus à jour travaillant alors à Milan. Son déplacement à Rome (1508) eut le double effet d’accentuer l’expansion des formes et, en même temps, d’entraîner Bramantino vers une atmosphère où règnent l’immobilité et l’abstraction, et qui transforme ses personnages en idoles détachés de la réalité et ses fonds de tableaux en arrière-plan archéologiques d’aspect irréel (Fuite en Egypte). Plus jeunes que lui, les artistes Bernardino Luini et Gaudenzio Ferrari considérèrent avec attention le style de Bramantino.

Épiphanie, vers 1500, Bramantino
Épiphanie, vers 1500, Bramantino (Londres, National Gallery)

Dans cette peinture, on a voulu reconnaître dans les deux figures aux côtés de la Madone, les prophètes Isaïe et Daniel, dans les autres figures les rois Mages et leur suite et, dans les récipients insolites au premier plan, leurs dons. Les trois objets sur la marche sont un parallélépipède ou une pierre angulaire, symbole du Christ, un turban, symbole des peuples d’Orient et une cuvette, symbole du baptême. L’architecture, les coffrets raffinés, les récipients de pierre… tout est simple, distinct, finement stylisé et d’un goût excellent. Les attitudes des figures, leurs poses, leurs gestes, le mouvement de leur tête et ses regards témoignent d’une extrême recherche stylistique, comme s’il s’agirait d’une rigidité rituelle.

La Sainte Famille, vers 1520, Bramantino
La Sainte Famille, vers 1520, Bramantino
(Milan, Pinacoteca di Brera)

La composition a une atmosphère raréfiée. Chaque geste prend une dignité presque hiératique, et chaque figure tend à prendre une fixité architectonique. La figure de l’Enfant échappe violemment à cette rigueur formelle. Le geste audacieux de ses mains semble introduire un effet plus serein et contemplatif à l’arrière-plan, où les bâtiments en construction se détachent sur le ciel lumineux. Les bâtiments rappellent le travail de Bramantino comme architecte et théoricien d’architecture. De son travail dans ce domaine, seulement le mausolée de la famille Trivulzio à Milan a survécu.

À la même époque, mais avec une imagination différente et un enrichissement progressif de l’articulation formelle et expressive, Gaudenzio Ferrari met à profit, entre Varallo et Verceil, son initiation lombarde encore marquée par l’influence de Bramante, qu’attestent ses interventions répétées, vers 1510, dans l’église Santa Maria delle Grazie à Varallo. Elle ne concernera finalement que marginalement le phénomène de mode constitué par l’adoption passive et répétitive des modèles de Léonard de Vinci au sein d’un cercle de fidèles disciples du maître florentin. Elle donne lieu à des productions plus importantes à travers les développements d’une culture picturale encore marquée par l’empreinte naturaliste que lui a donné, lors de décennies précédents, Vincenzo Foppa, désormais âgé.

Gaudenzio Ferrari, les fresques de Santa Maria delle Grazie à Varallo

Peintre et sculpteur, l’activité du Gaudenzio Ferrari (Valdivia vers 1475 – Milan 1546) se déroula probablement au cours de la première décennie du XVIe siècle, en étroit contact avec le chantier du Sacro Monte de Varallo, ouvert depuis peu sur l’initiative du franciscain Bernardino Caimi, mais déjà très productif. Les premières œuvres de Gaudenzio Crucifixion (Varallo, Pinacothèque) présentent déjà de liens solides avec les milieux artistiques milanais du XVe siècle tardif, de Bramante à Léonard et à Zenale : liens qui semblent devenir de plus en plus serrés, surtout en ce qui concerne l’œuvre de Bramante qui, selon une hypothèse convaincante, aurait voulu l’avoir comme compagnon pendant son séjour à Rome de 1508 à 1509. Les œuvres réalisées par Gaudenzio à Varallo, aussi bien en sculpture qu’en peinture montrent l’extraordinaire veine narrative de l’artiste et le chef d’œuvre de celui qui est considéré comme l’un des principaux artistes de la plane du Pô du Cinquecento principalement les fresques réalisées entre 1512 et 1513 pour l’église Santa Maria delle Grazie à Varallo et qui représentent en 21 scènes, la vie du Christ.

Scènes de la vie du Christ, 1512-1513, Gaudenzio Ferrari
Scènes de la vie du Christ, 1512-1513, Gaudenzio Ferrari (Varallo, église Santa Maria delle Grazie)
Épiphanie, Gaudenzio Ferrari
Épiphanie, détail des Scènes de la vie du Christ, Gaudenzio Ferrari
(Varallo, église Santa Maria delle Grazie)

Les fresques sur l’Histoire de la Passion du Christ sur le grand mur transversal de Santa Maria delle Grazie témoignent de la rapidité avec laquelle se développent les expériences de l’artiste, en direction des modèles de l’Italie Centrale. Les diverses composantes du langage figuratif de l’artiste atteignent une fusion totale – dans la parfaite maîtrise de la composition, dans les rythmes fluides qui lien les figures et dans les gestes variés et naturels, dans la science de l’expression des sentiments. Ferrari a vécu à Milan de 1537 jusqu’à sa mort, en 1546. Léonard n’est pas son seul point de référence, car il connaît aussi Rome (le Raphaël de la Chambre de la Signature et Michel-Ange), les peintres nordiques et Albrecht Dürer (probablement à travers des estampes et de dessins). En outre, il est au courant de toutes les nouveautés du milieu milanais. Ses contemporains l’admirèrent beaucoup et il influencera à son tour la peinture de Lombardie et du Piémont, ainsi que l’atteste sa Cène, le retable qu’il peignit pour l’église milanaise de Santa Maria della Passione.

La Crucifixion, Gaudenzio Ferrari
La Crucifixion, Gaudenzio Ferrari, Varallo
Scènes de la vie du Christ, détails de la Crucifixion,
(Varallo, église Santa Maria delle Grazie)

Durant la deuxième décennie du siècle, du Polyptique de San Gaudenzio à Novara aux fresques de la Madone de Lorette à Roccapietra, mais surtout avec le « grand théâtre de montagne » des chapelles du Calvaire (1520/26) et du Voyage des Mages (1526-1528) du Sacro Monte de Varallo : œuvres qui marquent non seulement la plus haute expression de l’art de Ferrari peintre, sculpteur et très grand metteur en scène de « mystères sacrés », mais aussi un des sommets de l’art italien du début du XVIe siècle. Vers 1529, après une activité qui s’était déroulée sur trois décennies environ et dont l’ampleur n’a pas encore été totalement mesurée (mais qui comprend sans aucun doute, des interventions décisives également dans les chapelles qui évoquent des lieux et des faits de l’enfance  du Christ), se termine l’œuvre de Gaudenzio pour le Sacro Monte.

En 1499, Ludovic le More avait dû fuir la ville. Léonard et Bramante le suivirent. L’armée française fit son entrée triomphale. Elle est aux ordres de Gian Giacomo Trivulzio, l’un des plus importants représentants de la noblesse milanaise. Trivulzio joue un rôle capital pendant ces années de gouvernement français à Milan. Il va notamment commander un grand cycle de tapisseries qui représente un événement important du début du XVIe siècle. On confie l’entreprise à Bramantino, ce qui témoigne du succès de cet artiste à Milan après la chute des Sforza. Le nouveau gouverneur, Charles d’Amboise vielle à garantir une certaine continuité culturelle. Dans cette perspective, il commandera de nouveaux projets à Léonard pour essayer de la faire revenir à Milan. À partir de 1525, après la défaite de François Ier à la bataille de Pavie, l’empereur Charles Quint rendit le duché à Francesco II Sforza (1495-1535), second fils de Ludovic le More. Sans descendance à sa mort, Francesco lègue ses états à l’empereur. La domination espagnole s’instaura donc en 1535 et le sort du Milanais est lié à l’Espagne jusqu’en 1713. Dans le domaine architectural et artistique, on voit s’implanter définitivement une « manière » de type classique où il est nécessaire pour les artistes de connaître Rome et les ruines antiques. L’artiste le plus important du XVIe siècle milanais est Pellegrino Tibaldi. Il provient de Côme, mais son œuvre est influencée à la fois par la formation qu’il a reçue à Rome et par la tradition lombarde. Son style maniériste sera très apprécié du côté espagnol, et c’est à lui que l’on confia vers 1575 les décorations du studiolo du Gouverneur, dans le palais ducal (qui n’existe plus). En outre, en 1584 Philippe II le chargea de peindre à fresque l’Escurial.