Paris : centre culturel de la mode.
Le terme « mode » ne se limite pas au domaine vestimentaire. Dans la France du XVIIe et XVIIIe siècles, il s’applique aussi à toutes sortes de changements concernant le style de vie. La mode souligne la valeur du présent, qui paraît sous un aspect sans cesse renouvelé. Elle n’obéit pas seulement aux lois du devenir et de l’éphémère, mais est déterminée par la volonté de quelques-uns, ce qui implique qu’elle recouvre des intérêts. Les modes concernent presque tous les domaines de la vie, mais c’est dans l’habillement qu’elles se manifestent les plus, car c’est le moyen de montrer ce qu’on veut être. On peut faire étalage de toute richesse, en particulier de sa fortune, à travers ses vêtements.

Postdam, Château du Sanssouci.
« Sa robe se satin blanc {…}, aussi bien que sa Coiffure d’un point d’Angleterre admirable, peignent aussi bien son opulence, que les traits parfaits de son visage peignent sa belle âme ».
Le rôle de centre culturel que Paris commença à jouer à partir des années 1670 reposait en grande partie sur le diktat de la mode, auquel l’ensemble de la noblesse d’Europe s’était peu à peu soumise. La mode parisienne fut diffusée par la gazette Le Mercure galant, où le terme « galant » signifiait la conformité à l’étiquette.

Paris, Palais Galliera.
Dans l’œuvre le plus emblématique de Watteau, l’Enseigne de Gersaint, scène du commerce et de l’art du luxe, la mode, dans l’explosion lumineuse des satins des robes et des costumes d’hommes, orchestre la ballet de la modernité.
Scènes de genre comme portraits de mode
Au XVIIIe siècle, la vie privée et quotidienne, et avec elle les vêtements qui la parent, tient une place de plus en plus importante dans les portraits qui se multiplient, dans une alliance avec les scènes de genre, où l’habillement compté plus que la physionomie. Seul importait d’associer un nom à une parure. Les portraits peints par Carle Van Loo, Hyacinthe Rigaud et Nicolas de Largillierre, et par de nombreux autres portraitistes à peine moins talentueux, sont les meilleurs témoins de l’image que voulait donner d’elle-même l’élite sociale parisienne à la fin du règne du Roi-Soleil et sous la Régence.

Nicolas de Largillierre, Paris, musée du Louvre.
L’habillement de modèles ne suffisait pas à exprimer à lui seul toutes la magnificence dans laquelle ceux-ci voulaient paraître. Dans Double portrait d’une femme et d’un homme en Pomone et Vertumne de Nicolas de Largillierre, la femme, personnage principal, représente Pomone, la déesse des fruits et des jardins, qui, selon Ovide, se laissa séduire par Vertumne, le dieu des saisons métamorphose en vieille femme. À cette transfiguration mythologique correspond la richesse du drapé aux plis compliqués, dans lesquels Largillierre à déployé tout son art du pinceau et du coloris. L’artificiel est ici présenté comme naturel.

Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister.
Le Portrait d’un inconnu du règne de Louis XV par Carle Van Loo, fait partie de ces peintures devenues iconiques à la fois dans l’histoire de la mode et de la peinture. Le modèle est revêtu d’une veste à bordures fleuries et d’une robe de chambre en soie façonnée au motif floral exubérant, doublée de soie rose.


Versailles, château de Versailles et du Trianon.
L’arrivée de Louis XVI sur le trône de France, en 1774 marque plus nettement les débuts de la mode du gilet brodé. D’un luxe ostentatoire, les gilets arborent des devants en satin ou en taffetas de soie, souvent décorés de motifs floraux parés à différents ornements.


Le genre, mêlant galanterie et représentation pointue des costumes, semble avoir été inventé par les œuvres de Jean-François de Troy (1679-1752), et principalement s’appliquer à elles, mais dans la période Rococo, Chardin et particulièrement Boucher réalisèrent également des chefs-d’œuvre à sa suite.
Les marchandes de mode au XVIIIe siècle
Contrairement aux autres métiers du textile qui étaient considérés comme relevant de l’artisanat, celui de marchande de modes avait la particularité de relever du statut d’artiste. Le travail des marchandes de modes consistait à garnir de différentes étoffes et matières les vêtements et accessoires des garde-robes féminines. Elles enjolivaient par exemple les chapeaux de plumes, les robes de fourrure de passementerie ou de nœuds d’étoffe. Elles confectionnaient aussi certains vêtements, en concurrence avec la couturière. Le tableau de Boucher illustre un aspect de la vente des articles de modes, au domicile de la cliente.

Au XVIIIe siècle, les marchandes de modes constituaient donc l’élite des professions textiles. Mlle. Alexandre et Mlle. Bertin, comptaient parmi les plus célèbres de Paris. Pour attirer une riche clientèle, l’emplacement de la boutique avait une grande importance. Mlle. Alexandre et Mlle. Bertin l’avaient bien compris en s’établissant dans le quartier très fréquenté du Palais Royal. La relation privilégiée de Mlle. Bertin avec la reine Marie-Antoinette lui ont aussi valu d’être surnommée « ministre des modes ».


Paris, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

La noblesse se plaisait à visiter les enseignes les plus renommées de la capitale à l’image de la baronne d’Oberkirch, connue pour avoir rédigé ses Mémoires qui témoignent de l’Europe au temps des Lumières et qui se rendit en 1784 chez Mlle. Bertin : « On ne voyait de tous côtés que des damas, des dauphines, des satins brochés, des brocarts et des dentelles ».

Paris, Palais Galliera.

Le tableau L’Atelier de couture à Arles d’Antoine Raspal, nous montre l’une des scènes des plus rares et importantes de vie au XVIIIe siècle. Dans une explosion de couleurs, de détails et de tissus venus des quatre coins de l’Orient et de l’Occident, six jeunes femmes sont représentées au travail, affairées à coudre et agrémenter les vêtements de la bonne société arlésienne.

En autre, le tableau apparaît également comme le témoignage de la représentation d’un nouvel ordre affranchi de l’autorité des maîtres tailleurs ; celui des ateliers féminins de confections et du statut des couturières délivrée par lettre patente.
Diffusion des modes : Promenades et spectacles
Au XVIIIe siècle, la société lettrée se rencontre principalement sur les promenades publiques et dans les salles de spectacle. Ces deux aménagements sont particulièrement favorisés à travers les projets d’urbanisme de la période. La sortie au théâtre est un rendez-vous presque quotidien où l’on est certain de retrouver ses semblables en préambule au souper. Pris dans ces jeux des regards, s’en inspirent pour faire résonner la mode en dehors des scènes. Il est donc de notoriété publique que les salles font partie du système de la mode. Dans le Tableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier recommande la visite de « l’opéra à l’étranger jaloux de connaître les modifications de nos modes brillantes : qu’il les contemple sur la tête de nos femmes, non dans une froide et inintelligible description ».

La mode est alors, comme l’indique l’historienne Kimberly Chrisman-Campbell tout au long de son ouvrage Fashion Victims, un sujet d’intérêt général, comme le montre le tableau Fête au Colisée de Watteau de Lille. Aucune personne, aucun groupe social qui fréquente les salles, notamment les loges, et les promenades publiques n’y est étranger.

Lille, Palais des Beaux-Arts.
L’omniprésence de la scène dans l’univers visuel des artistes explique sans doute la théâtralité de la peinture. Nous savons que les peintres se rendent au spectacle et transposent la forme dramatique de la scène à la toile. De plus, assister aux pièces fait qu’ils participent au jeu social inhérent au lieu, à savoir l’observation du public ; la tenue des spectateurs et leurs postures peuvent nourrir la culture visuelle au même titre que les pièces qui se déroulent sur scène. François Boucher est l’un des exemples les plus célèbres, et son œuvre est généralement marquée par des sujets régulièrement représentés su scène comme le témoigne sa peinture de réception à l’Académie royale de peinture et sculpture Renaud et Armide.

Par ailleurs, Nicolas Lancret est un habitué de l’Opéra et du Théâtre-Français. Tandis que Jean Raoux est avec Nicolas de Largillierre l’initiateur de la vogue des portraits de danseuses et actrices.

Les peintres ne sont pas les seuls à assister aux spectacles, cette pratique concerne tous ceux qui participent à l’élaboration, à la diffusion et au renouvellement de la mode. Dans certains manuels destinés aux dessinateurs d’étoffes, comme celui de Joubert de l’Hiberderie, qui encourage à ses lecteurs à se rendre à l’Opéra pour voir et s’inspirer de « la richesse et le goût des habits toujours couverts de fleurs, soit des acteurs ou des spectateurs ». Il souligne aussi l’existence de la « brillante compagnie » de la Comédie-Italienne, « dont une partie vient d’étaler dans la parure beaucoup de richesse et de goût ».

Bordeaux, musée des Beaux-Arts.
Au XVIIIe siècle, des groupes de sociabilité mêlant vieille aristocratie, nouvelle noblesse et haute bourgeoisie voient le jour et facilitent les échanges, parfois non sans heurts. Les stratégies du paraître dans leurs portraits et dans leurs mises utilisent les mêmes distinctions symboliques, la même communication sociale, pour asseoir les lignées anciennes, ou au contraire les plus récentes réussites.
Bibliographie
- Gilles Lipovetski. L’Empire de l’éphémère. Paris, Éditions Gallimard, 1987
- Thomas E. Crow. La Peinture et son public à Paris au XVIIIe siècle. Macula, 2000
- Christophe Leribault. Jean-François de Troy (1679-1752). Paris, Athena, 2002
- Collectif. À la mode. L’art de paraître au 18e siècle. Snoeck, 2021











