Les portraits humanistes

L’humanisme et l’art du portrait

Le mot humaniste peut avoir deux sens différents. Il peut être utilisé de façon restrictive, comme synonyme de philologue ou grammairien, et peut être utilisé, plus largement, pour désigner ce que nous appellerions aujourd’hui un intellectuel.

La soif de savoir de l’érudit ne se limitait pas aux textes. Il étudiait toutes les reliques du mode de vie des Romains, et aucune avec autant de plaisir que des portraits sculptés et des bustes. Son souci n’était pas simplement l’étude académique des formes classiques de la pensée, mais l’application à son époque. Son influence sur le portrait se manifestait d’abord dans le retour de deux formes classiques de cet art, la médaille et le portrait en buste. La première médaille italienne commémorait un événement historique : la reconquête de Padoue par Francesco I Carrara en 1390 – Padoue a été l’un des premiers centres de l’humanisme italien – dont le fils de Francesco Carrara, Ubertino, fut le destinataire d’un célèbre essai de Vergerio, De Ingenuis Moribus – considéré pendant plus d’un siècle comme la déclaration basique de l’idéal d’éducation libérale. La médaille de Carrara, montre une grande connaissance des monnaies impériales romaines et, par rapport à l’art du portrait, c’est une œuvre étonnamment en avance sur son temps par la maîtrise des traits du visage. Quand un demi-siècle plus tard, Pisanello, probablement vers 1439 et pendant son séjour à Mantoue, reçut commande d’une œuvre très similaire – la médaille du prince et condottiere Gian Francesco Gonzaga -, son portrait semblait sorti tout droit des figures d’une fresque du gothique international, ou même avoir comme origine, celles que Pisanello peignait à la même époque au palais ducal de Mantoue.

Médaille de Gian Francesco Gonzaga, Pisanello
Médaille de Gian Francesco Gonzaga, vers 1445-47, Antonio Pisano, dit Pisanello (New York, Metropolitan Museum)

Cependant, la responsabilité de ce vif intérêt pour le portrait dans les médailles, revient à un florentin, l’architecte et théoricien Alberti. Comme Erasmus, un siècle plus tard dans le Nord, Alberti fut victime de sa permanente fascination pour sa propre identité intellectuelle. Selon Vasari, l’un de ses autoportraits, fatto alla spera, peint dans un miroir, avait été conservé dans l’un de ses plus célèbres bâtiments séculaires, le Palazzo Rucellai. Le manuscrit de son essai Entretiens sur la tranquillité de l’âme, porte un autoportrait qui le montre plein corps debout dans un jardin entouré de fleurs. Les deux autoportraits d’Alberti qui ont survécu sont des reliefs en bronze. Si nous faisons abstraction des portraits de profil contemporains comme le portrait réalisé par Masaccio dans la Chapelle Brancacci, le relief en bronze s’inspire d’une médaille antique – ce genre de portrait semble avoir été inspiré par une tête d’Agrippa en améthyste qui se trouve à Paris -, et la figure, habillée all’antica, exprime le désir secret d’Alberti d’être comparé aux penseurs et héros de l’antiquité.

Portraits d’Alberti, Brunelleschi, Masolino et l’autoportrait de Masaccio
Portrait d’Alberti (au centre), à sa gauche Brunelleschi et à droite Masolino et l’autoportrait de Masaccio, 1424-1428, Tommaso di ser Giovanni di Mone Cassai, dit Masaccio
(Florence, église del Carmine, chapelle Brancacci)
Autoportrait, Léon Battista Alberti
Autoportrait, médaille, vers 1450-1500, Léon Battista Alberti (Lens, musée du Louvre)

Cette position particulière du portrait de l’ »intellectuel » nous pouvons la trouver dans nombre de sociétés. Les hommes de lettres se trouvent parmi ceux qui, en tant que personnalités illustres, en bénéficient précocement. En Grèce des statues sont consacrées aux poètes, orateurs et philosophes, et leurs copies deviennent à Rome les icônes du culte voué à l’enseignement de la culture hellénique. Dans l’Antiquité, les portraits des hommes de lettres figurent aussi dans les lieux qui conservent leurs œuvres, les bibliothèques. À la Renaissance, cet usage est repris dans les cabinets de travail des humanistes, sous forme de buste ou de tableau. C’est le cas des portraits du studiolo de Federico da Montefeltro à Urbino, réalisés par Juste de Gand et Pedro Berruguete, ou à Florence à la même époque, les fresques d’Andrea del Castagno avec la série des Hommes et femmes illustres dans la villa Carducci de Legnaia.

Pétrarque, Juste de Gand
Pétrarque (Les hommes illustres),
Juste de Gand
(Urbino, Galleria Nazionale delle Marche)

Luca Signorelli : Portrait d’un vieil homme

Dans le Portrait d’un vieil homme de Luca Signorelli (vers 1441-1523), l’expression psychologique et les attributs qui définissent la personnalité du vieil homme est une énigme complète. On pourrait presque dire que le contenu mystérieux du tableau contraste simplement avec la clarté des formes, les contours précis, « égratignés » comme un sgraffite. Le regard légèrement baissé de l’homme présenté de trois-quarts confère au portrait une dimension psychologique, qui va bien au-delà d’une simple reproduction physique. L’homme semble plongé dans ses réflexions, presque mélancolique, du moins pensif. Le contenu de ses pensées est apparemment montré dans les deux scènes de l’arrière-plan, qui se font vis-à-vis, de chaque côté du visage : à gauche, deux jeunes femmes devant un temple arrondi, à droite deux adolescents nus devant les ruines d’un temple couvertes d’arbres et de buissons. Le geste de la femme qui se trouve sur le bord gauche du tableau, ressemble à un bannissement. La situation, à droite, fait penser au meurtre que Caïn perpétra sur son frère. Toutefois, il manque ici la mâchoire d’âne comme instrument de mort, si bien que l’on peut prendre en considération une autre possibilité iconographique: le meurtre de Cacus, habitant de l’Aventin, par Hercule (cf. Virgile, Enéide 8, 185 suiv.; Livius 1,7,3 suiv.; Ovide, Fasti 1, 543 suiv.). Mais même si cette identification était juste, elle se prêterait peu au rapport thématique de l’architecture, sur laquelle on voit un relief représentant deux autres adolescents, probablement les deux Dioscures Castor et Pollux.

Luca Signorelli, Portrait d’un vieil homme
Luca Signorelli, Portrait d’un vieil homme, détail
Portrait d’un vieil homme, c. 1500, Luca Signorelli
(Berlin, Staatliche Museen)

Selon une antique tradition, l’Aedes Vestae, le temple de Vesta, qui comportait une cellule circulaire entourée de colonnes corinthiennes et était couvert d’une coupole en bronze, était situé à proximité du temple de Castor et Pollux. La construction de gauche du portrait, à l’arrière plan, que Signorelli a exécutée d’après le modèle du Panthéon, le temple antique arrondi le plus célèbre, autrefois et aujourd’hui, correspond absolument à cette architecture. Les femmes sont-elles donc de vestales? Il ne semble tout d’abord pas possible de reconstituer un contexte sensible formant une unité. Il est pourtant permis de supposer que le portrait représente une réflexion sur les débuts de Rome et que l’homme, quelle qu’ait pu être sa profession, réfléchit à la grandeur passée de Rome. L’architecture antique romaine de ce tableau permet de supposer que Luca Signorelli, qui venait de Cortona et séjourna surtout dans des villes d’Italie centrale telles que Orvieto, Arezzo et Florence, l’a peint au cours de son séjour à Rome en 1482-83, époque à laquelle exécuta deux fresques dans la chapelle Sixtine.

Bronzino : Portrait d’Ugolino Martelli

Agnolo Tori o Angelo di Cosimo di Mariano, plus connu comme Bronzino (Florence, 1503-1572), qui est considéré comme l’un des principaux maîtres du maniérisme florentin, était estimé par ses commanditaires aristocratiques à cause de ses portraits froids et imposant la distance, qui soulignent la dignité et l’élégance des personnes représentées; le Portrait d’Ugolino Martelli (1519-1592) est lisse comme l’émail, mais Bronzino a prêté au jeune humaniste alors âgé d’une vingtaine d’années, qui est assis et essaie de paraître plus vieux que son âge, comme puer senex, des traits introvertis et spiritualisés, au-delà de l’enregistrement de l’aspect physique. Martelli porte un habit noir fermé, luisant comme la soie, et un béret noir sur sa fine tête ovale; il tourne la tête sur le côté, rêveur. Il médite apparemment sur un passage du livre ouvert sur la table. Il s’agit là du neuvième chant de l’Iliade, de l’épopée homérique racontant la guerre de Troie, qui trouva dans la littérature antique une suite dans l’Enéide de Virgile, que Martelli laissa représenter comme étant sa lecture favorite, ainsi que le montre l’inscription MARO (Virgile) sur le livre à gauche. Avec sa main gauche, Martelli s’appuie sur un livre de Pietro Bembo (1470-1547), que ses contemporains considéraient comme un humaniste de la plus grande érudition.

Portrait d’Ugolino Martelli, Agnolo Bronzino
Portrait d’Ugolino Martelli, vers 1537-39, Agnolo Bronzino (Berlin, Staatliche Museen)

Le fait que le personnes représentées soient encadrées par un arrière-plan architectonique à la perspective fuyant brusquement par derrière, caractérise quelques portraits de Bronzino et d’autres artistes maniéristes. Ici aussi: derrière Martelli, on voit la cour intérieure du palais construite par Domenico d’Agnolo, qui rappelle la décoration murale de la Biblioteca Laurenziana. Sur le mur du fond, se trouve une statue de David d’abord attribuée à Donatello, mais en fait exécutée par Bernardino Rossellino. Elle se trouve aujourd’hui dans la National Gallery de Washington.

Portrait d’Ugolino Martelli, détail, Agnolo Bronzino
Portrait d’Ugolino Martelli, détail, vers 1537-39, Agnolo Bronzino (Berlin, Staatliche Museen)

Tout comme l’Iliade et l’Enéide étaient des livres dont on se réclamait encore à la Renaissance, comme preuves de l’histoire ancienne de Rome (et donc de l’Italie), la statue de David, qui est particulièrement exposée dans le cadre intellectuel de Martelli, reçoit la fonction de symbole d’identification patriotique pour la ville de Florence dont le jeune humaniste était originaire. Le portrait documente donc le sentiment national naissant, que Francesco Guicciardini et Niccolo Machiavelli avaient déjà exprimé dans leurs œuvres sur l’histoire de Florence. Pietro Bembo apporta lui aussi son appui à ce mouvement avec ses Prose della volgar lingua (Proses sur la langue vulgaire; 1525), dans lesquelles il dit que la culture de la langue populaire italienne doit être préférée au latin.

Raphaël : Baldassare Castiglione

Raphaël était probablement lié avec Baldassare Castiglione depuis 1506 environ, alors que tous deux étaient encore au service du duc Guidobaldo d’Urbino. Cette cour était alors le centre culturel de l’Italie. Castiglione lui a érigé un monument littéraire dans son traité en forme de dialogue, Il libro del cortegiano (Le parfait courtisan), commencé en 1508 et imprimé en 1528, un an avant sa mort. Dans ce livre, il démontre l’art de la conversation humaniste, élégante et aisée, avec de nombreux exemples. Castiglione conçoit en outre un code d’usages destiné à l’homme de cour, au noble englobé dans la configuration de la cour, dont on attend à la fois noble réserve et maîtrise des sentiments, ce qui doit s’exprimer par des manières fines, dignes et modérées. Il attend en outre du courtisan des connaissances et des dons dans le domaine de l’art, de la musique et de la littérature, ainsi que la maîtrise athlétique du corps pour ce qui est de monter à cheval, de manier les armes et de danser. Castiglione pense également que les vêtements raffinés, qui doivent être sombres selon l’exemple de la mode bourguignonne et donc éviter les couleurs vives et colorées, font partie du style de vie noble.

Portrait de Baldassare Castiglione, Raphaël ; Frontispice de Il Cortegiano
Baldassare Castiglione, huile sur toile, 82 x 67 cm, Raphaël (Paris, musée du Louvre) ; Frontispice de Il libro del cortegiano, Venise, Aldus, 1528.

Le portrait de Castiglione se caractérise par une tonalité douce tendant à la monochromie: la palette limitée correspond manifestement tout à fait aux exigences esthétiques de la personne représentée, au rejet de tout ce qui est bruyant et maniéré, de toute auto-stylisation excessive. Castiglione porte les vêtements qu’il recommande dans son traité. Le corps légèrement tourné vers la droite, Castiglione, dont le visage barbu est encadré par un bonnet noir fendu et un col relevé, lance au spectateur un doux regard à la fois sérieux et amical. Les mains, qui sortent des rabats noirs des manches en velours gris, bouffantes jusqu’aux épaules, sont croisées et expriment à la fois la maîtrise de soi aristocratique et la maîtrise des sentiments.

Lucas Cranach l’Ancien: Le docteur Cuspinian et sa femme

Cranach peignit ce double portrait à l’occasion du mariage de l’humaniste viennois Johannes Cuspinian (1472-1529) et de sa femme Anna. Cuspinian était originaire de Schweinfurt. Il fit ses études à Leipzig, fut consacré poète en 1493 et devint recteur de l’université de Vienne à l’âge de 27 ans. Il occupa par la suite de nombreuses autres fonctions, par exemple celle de surintendant de l’université à partir de 1501. Il servit également de conseiller et d’historiographe à l’empereur Maximilien I. En 1508, il édita, entre autres, la Descriptio orbis terrae de Rufus et rédigea l’Histoire des consuls romains jusqu’à Justinien, la dite Consules (1512), de même que le livre des empereurs romains, De Caesaribus atque Imperatoribus Romanis, (Strasbourg 1540), qui fut célèbre en son temps. Cuspinian fut sans doute l’un des humanistes les plus cultivés de son époque. D’abord proche de la Réforme, le savant suivit ses efforts théologiques avec beaucoup de sympathie, mais après la guerre des Paysans, il prit ses distances comme beaucoup d’autres humanistes et se tourna de nouveau vers la vieille Église. Lucas Cranach, qui avait presque le même âge que Cuspinian, était fort estimé auprès du cercle d’humanistes du sud de l’Allemagne, qui lui permit d’accéder à la cour et de faire une carrière de peintre de la cour. Le prince électeur Frédéric le Sage lui attribua cette fonction à Wittenberg en 1504.

Portrait de Johannes Cuspinian, Lucas Cranach
Portrait du docteur Johannes Cuspinian, 1502-03, huile sur bois, 59 x 45 cm.
Lucas Cranach (Winterthur, collection Oskar Reinhart)

Le port de tête de Cuspinian, montre certainement que l’humaniste réfléchit à la lecture du livre qu’il tien fermé devant lui et sur lequel repose sa main gauche baguée. La tête légèrement relevée peut être également comprise comme écoute attentive. Il est également permis de supposer qu’il existe des rapports entre Apollon et les neuf femmes que l’on voit en train de laver, de se baigner, de porter des seaux au milieu du tableau, entre Cuspinian et sa femme. On dirait qu’il s’agit là des Neuf Muses dont le protecteur (Musagète) était Apollon selon le mythe antique. L’eau, qui est leur royaume est opposé au feu, derrière Anne Cuspinian, est à peine visible. Il se peut que cette polarité caractérise le contraste entre les sexes: selon Plutarque, le feu était l’élément masculin, l’eau l’élément féminin, une conception qui fut reprise par Ficino.

Cranach a conçu les deux tableaux comme une unité cohérente. Ceci devient évident quand on considère le paysage continu, derrière le couple élégant. Rien n’est dû au hasard dans ce paysage, qu’il ne représente pas un fragment de nature choisi arbitrairement. Il s’agit au contraire d’un paysage composé rempli d’allusions symboliques, basées probablement sur des suggestions faites par Cuspinian lui-même. Dans sa savante étude de ce double portrait, Dieter Koepplin a expliqué que Cuspinian s’était référé à la Poetica Theologica de Pico della Mirandola, de même qu’à la théorie des mystères divins de Marsilio Ficino. Il suppose donc que des signes cabalistiques sont mystérieusement codés dans les tableaux.

Portrait de Johannes Cuspinian, détail, Lucas Cranach

La minuscule figure perchée sur la dent rocheuse de la montagne couronnée d’un fort, derrière Cuspinian, est à peine visible. Effectuant le geste des adorateurs antiques, elle rend apparemment un culte à l’étoile (peinte à l’or pour Cranach), qui est certainement l’étoile de l’Épiphanie, au sens de la doctrine du poète des hymnes, Prudence, qui vécut au début de l’ère chrétienne et que Cuspinian avait intensément étudié. Koepplin pense que la figure est Orphée. Il met en rapport sa position, au somment de la montagne, avec le furor poeticus platonique et le culte des hauteurs caractéristique de la vénération des étoiles.

Portrait d’Anna Putsch, Lucas Cranach
Portrait d’Anna Putsch, première femme du docteur Johannes Cuspinian, 1502-03, huile sur bois, 59 x 45 cm. Lucas Cranach (Winterthur, collection Oskar Reinhart)

Le motif du perroquet sur l’arbre, qui est attribué à Ana Cuspinian, et dont le cri fut interprété comme étant « ave », donc comme le salut de l’ange à Marie dans l’Annonciation -, passait pour symbole marial: signe de la chasteté et de la pureté. Entre les oiseaux que l’on voit voler derrière Cuspinian se trouve une chouette poursuivie par d’autres oiseaux, tenant une proie dans ses serres; à droite, derrière son épouse, l’aigle et le cygne (ce dernier sur le dos) luttent en un combat singulier. Parmi les emblèmes humanistes, la chouette était un symbole ambivalent: elle pouvait aussi être synonyme de la sagesse de la déesse Athéna (Minerve) que de son contraire, l’aveuglement et la bêtise, qu’il s’agissait de combattre.

Hans Holbein le Jeune : Érasme de Rotterdam

Le tableau du Louvre Érasme de Rotterdam réalisé par Hans Holbein le Jeune constitue une variante du portrait d’Érasme écrivant, peint par Quentin Massys ou Metsys en 1517. C’est certainement l’un des plus remarquables portraits humanistes du XVIe siècle. Ici, Holbein reprend consciemment la vue de profil antique. Alors que celle-ci se fige souvent au Quattrocento, semble peu vivante, Holbein lui donne une psychologie pleine de dynamique intérieure et d’intensité grâce au contexte de l’action. La figure du grand penseur se détache sur un mur lambrissé et une tenture décorée de motifs se répétant régulièrement. Enveloppé dans un ample manteau sombre avec des revers de manches bruns, coiffé d’un béret noir, le visage et les mains ressortent nettement comme centres d’action du travail intellectuel. Érasme est représenté en train d’écrire, le regard à la fois baissé et introverti, tourné vers ce qu’il vient d’écrire, si bien que ses pupilles ne sont pas visibles.

Érasme de Rotterdam et étude de main, Hans Holbein le Jeune
Érasme de Rotterdam, 1517, huile sur bois, 58 x 45 cm. ; Étude de la main pour le portrait,
crayon et sanguine Hans Holbein le Jeune (Paris, musée du Louvre)

Le savant se consacre entièrement à son travail, et on dirait qu’il ne remarque pas le spectateur (fictif). Érasme voulait apparemment être peint dans cette immanence du travail intellectuel, qui fixe constamment les pensées par écrit. Il envoya probablement le portrait à son ami Thomas Morus, auquel il avait déjà dédié le satirique Éloge de la folie (Encomium Moriae) en 1511, lors de son troisième séjour en Angleterre, en faisant allusion à son nom. Comme dans le tableau londonien Les Ambassadeurs, Hans Holbein a ici également chiffré des allusions symboliques. Parme les animaux schématisés qui ornent la tenture, on peut reconnaître le griffon, animal fabuleux de la légende antique, qui a des serres d’aigle devant et un corps de lion derrière. Ces deux éléments ont été rapprochés métaphoriquement de la vigilance (aigle) et du courage (lion) dans l’herméneutique chrétienne du Moyen Âge et du début de l’Époque Moderne.


Bibliographie

Schneider, Norbert. L’art du portrait. Flammarion. Taschen, Londres, 1994
Gigante, Elisabetta. L’art du portrait : histoire, évolution et technique. Hazan. Paris, 2011
Pope-Hennessy, John. El retrato en el Renacimiento. Madrid, Akal/Universitaria, 1985
Collectif. Le portrait. Paris. Éditions Gallimard, 2001
Pommier, Edouard. Théories du portrait. Paris. Gallimard, 1998