L’Odyssée racontée par les peintres

Ulysse (Odysseus)

La filiation d’Ulysse varie selon les sources. Dans les épopées homériques – l’Iliade et surtout l’Odyssée, où il tient le rôle principal -, il est le fils de Laërte, un Argonaute. Une autre tradition en fait un bâtard de Sisyphe, « le-très-rusé » roi de Corinthe : c’est de lui qu’Ulysse, « l’Homme-aux-Mille-Tours », tiendrait son ingéniosité.

Le fait est que son odyssée, commencée après la chute de Troie, témoigne d’inépuisables ressources d’intelligence et de volonté, qui lui permirent de triompher de tant de terribles épreuves durant son errance. C’est à Ulysse, roi d’Ithaque, que les Grecs confièrent leur ultime offensive dans la guerre de Troie, celle qui vit triompher l’incroyable coup d’audace du cheval de bois. Après la victoire, Ulysse entama le voyage de retour à Ithaque, où l’attendaient depuis dix ans déjà son épouse Pénélope et son fils Télémaque. Un bref arrêt sur les îles des Cyclopes eut de lourdes conséquences. En aveuglant le monstrueux Polyphème, fils de Neptune, Ulysse déchaîna contre lui la colère du dieu des Mers, qui n’eut de cesse d’entraver sa route. L’errance d’Ulysse le jeta en des lieux plus étranges les unes que les autres : le pays des Lotophages, où l’on vit dans l’oubli de tout pour avoir goûté aux fruits du lotos ; le port des Lestrygons cannibales ; l’île de la magicienne Circé ; le récif des Sirènes et les écueils de Charybde et Scylla ; l’île de la Nymphe Calypso.

Ulysse sauvé par la nymphe Leucothée, fresque, 1549-1554, Pellegrino Tibaldi, Bologne, Palazzo Poggi
Ulysse sauvé par la nymphe Leucothée, fresque, 1549-1554, Pellegrino Tibaldi,
Bologne, Palazzo Poggi

Lorsque Ulysse a quitté l’île de Calypso sur un radeau de fortune qu’il a lui-même fabriqué, il rencontre Neptune qui élève aussitôt une tempête contre lui. Le héros est sauvé par l’intervention d’une déesse marine Leucothée : elle lui prête son voile qui lui permet de traverser les vagues en toute sécurité et pouvoir aborder sur la côte rocheuse de Phéacie.

Athéna transformant le héros grec Ulysse en mendiant, vers 1765, Giuseppe Bottani, Pavie, Musei Civici del Castello Visconteo
Athéna transformant le héros grec Ulysse en mendiant, vers 1765,
Giuseppe Bottani, Pavie, Musei Civici del Castello Visconteo

Quand au but de vingt ans Ulysse put enfin revoir sa patrie, ce fut pour y trouver sa fidèle épouse harcelée par une centaine de prétendants installés dans son palais à dévorer ses biens. Cachant son identité sous les hardes d’un mendiant, Ulysse réussit à les massacrer tous et à se faire reconnaître de Pénélope. Pour représenter les aventures d’Ulysse, les artistes se sont beaucoup inspirés de l’Odyssée. L’histoire de ce héros fut souvent illustrée par les peintres de la Renaissance dans des cycles de fresques qui ornent certains palais.

Ulysse reconnu par Euryclée, 1849, Gustave Boulanger, Paris, École National Supérieure des Beaux-Arts
Ulysse reconnu par Euryclée, 1849, Gustave Boulanger, Paris, École National Supérieure des Beaux-Arts.
Ulysse reconnu par Euryclée, 1849, Gustave Boulanger, Paris
Ulysse reconnu par Euryclée, détail, 1849, Gustave Boulanger,
Paris, École National Supérieure des Beaux-Arts

Euryclée, la nourrice d’Ulysse, le reconnaît à la cicatrice qu’il porte à la jambe. La divinité armée est Minerve, protectrice d’Ulysse. La femme qui file est Pénélope.

Pénélope

À compter du jour où Ulysse partit combattre devant Troie, sa femme Pénélope veilla sur leur royaume d’Ithaque, petite île de la mer ionienne. Mais, au terme de dix ans que dura la guerre, Ulysse ne rentra pas, sans que son épouse sût même s’il était en vie. Pénélope n’en repoussa moins ses nouveaux prétendants. À son corps défendant, elle dut accepter d’épouser un jour l’un d’eux, mais il y mit une condition : qu’on la laisse d’abord terminer le linceul qu’elle tissait pour son beau-père. Et, pour gagner du temps, chaque nuit, elle défaisait en cachette son ouvrage du jour. Malheureusement, une servante la trahit en dévoilant sa ruse. Inspirée par Minerve, Pénélope promit finalement sa main à celui qui parviendrait à bander l’arc d’Ulysse et à tirer une flèche à travers les anneaux de douze haches alignées. Personne n’y réussit, quand un mendiant de passage demanda à tenter sa chance – sous les risées. À la stupéfaction des prétendants, il accomplit l’exploit – et révéla qu’il était l’époux de Pénélope, revenu pour leur malheur.

Pénélope et les prétendants, vers 1509, Pinturicchio, Londres, National Gallery
Pénélope et les prétendants, vers 1509, Pinturicchio, Londres, National Gallery

Quand la ruse de Pénélope, qui consiste à défaire son tissage chaque nuit, est découverte, Pénélope se déclare prête à épouser celui des prétendants qui parviendra à bander l’arc d’Ulysse et à traverser d’un seul trait les trous de douze haches placées en enfilade.

Ulysse à Ithaque, le jeu de l’arc, fin XVIe siècle, Francesco Primaticcio dit Primatice, Château de Fontainebleau
Ulysse à Ithaque, le jeu de l’arc, fin XVIe siècle, Francesco Primaticcio dit Primatice, Château de Fontainebleau
Ulysse et Télémaque tuant les prétendants de Pénélope, 1812, Thomas Degeorge, Clermont-Ferrand, musée d’Art Roger Quilliot
Ulysse et Télémaque tuant les prétendants de Pénélope, 1812, Thomas Degeorge,
Clermont-Ferrand, musée d’Art Roger Quilliot
Ulysse et Pénélope, vers 1550, Primaticcio, Toledo – Ohio, Museum of Art

Le cyclope Polyphème

À l’exception des Cyclopes (géants dotés d’un seul œil), toutes les formes monstrueuses de vie créées aux débuts du monde – les êtres aux cent mains, les Géants et les autres – furent, après leur défaite, à jamais bannis de la terre. Aux Cyclopes seuls, il fut permis de revenir et ils devinrent finalement les grands favoris de Zeus. Excellents ouvriers, ils forgeaient les éclairs du dieu. Ils n’étaient que trois au début, mais plus tard, ils devinrent plus nombreux. Zeus les installa dans une contrée fortunée, où les vignes et les champs portaient d’eux-mêmes des fruits abondants sans qu’il fut nécessaire de labourer ou de semer. Les Cyclopes possédaient de grands troupeaux de brebis et de chèvres et vivaient fort à leur aise. Cependant, leur férocité et leur barbarie restaient entières : Longtemps après que Prométhée eut été châtié, lorsque les descendants des hommes qu’il avait secourus furent devenus civilisés et qu’ils eurent appris à construire des bateaux de grande envergure, un prince grec échoua son navire sur le rivage de cette contrée dangereuse. Son nom était Odysseus (nom grec d’Ulysse) et revenant chez lui après avoir participé à la destruction de Troie, dut affronter dans l’île des Cyclopes (sans doute la Sicile), Polyphème, le géant doté d’un seul œil.

Le Cyclope, vers 1898-1900, Odilon Redon, Otterlo, Kröller-Müller Museum
Le Cyclope, vers 1898-1900, Odilon Redon,
Otterlo, Kröller-Müller Museum

Lorsqu’il aborda sur l’île, Ulysse descendit à terre avec douze de ses hommes et découvrit une caverne servant d’étable. Ils venaient d’y allumer un feu quand parut le maître des lieux, Polyphème, qui fit entrer son troupeau, puis roula une énorme pierre devant l’entrée bloquant le passage. C’est alors qu’il remarqua la présence des Grecs. Le Cyclope dévora vivants six d’entre eux, sur quoi il promit à leur chef qu’il le mangerait en dernier. Feignant de lui en savoir gré, Ulysse lui offrit du vin – et Polyphème s’enivra, au point de sombrer dans le sommeil. Ulysse trouva un épieu, dont il tailla la pointe et la durcit au feu avant de la plonger dans l’œil du monstre. Pour échapper aux coups désordonnés du Cyclope hurlant aveuglé, les survivants se cachèrent toute la nuit au milieu du troupeau. Au matin, quand Polyphème rouvrit pour laisser sortir ses bêtes les Grecs parvinrent à s’enfuir en se cachant sous l’épaisse toison des béliers qui sortaient pour aller paître. Pendant qu’il quittait l’île, Ulysse révéla de loin son identité à sa victime. En entendant ce nom maudit (un oracle l’avait averti qu’un certain Ulysse lui ôterait la vue), Polyphème lança dans la mer d’énormes rochers qui faillirent sombrer le navire. Ulysse en réchappa, mais, pour avoir aveuglé le fils de Poséidon, il allait désormais subir la haine du dieu de la Mer.

Ulysse aveugle Polyphème, vers 1551, Pellegrino Tibaldi, Bologne, Palazzo Poggi
Ulysse aveugle Polyphème, vers 1551, Pellegrino Tibaldi, Bologne, Palazzo Poggi. Pour échapper au Cyclope anthropophage et venger ses compagnons, Ulysse creva son œil unique.

La magicienne Circé

Dotée d’une beauté fatale et d’un pouvoir magique par lequel elle pouvait changer ses visiteurs en animaux, cette fille du dieu solaire Hélios posa un grave problème à Ulysse et à ses compagnons le jour où ils débarquèrent sur l’île d’Aeaea (la presqu’île italienne de Monte Circeo), où demeure Circé, après s’être enfuis de l’île des Lestrygons. Le roi d’Ithaque envoie quelques-uns de ses hommes, commandés par Euryloque, pour explorer les alentours. Dans une large vallée, les marins découvrent la demeure de Circé, qui les invite à entrer. La perfide enchanteresse offre à ses hôtes à manger et à boire et à peine ont-ils terminé qu’elle les transforme en pourceaux, d’un coup de baguette magique. Euryloque, qui pendant tout ce temps est resté caché, retourne auprès d’Ulysse pour lui raconter la mésaventure. Le roi d’Ithaque décide de se rendre lui-même chez Circé pour l’affronter. Arrivé en vue du palais, Ulysse est rejoint par Mercure qui lui fait don d’une herbe magique supposée le soustraire aux sortilèges de Circé. Il finit pour avoir raison d’elle et parvient à la convaincre de rendre apparence humaine à ses compagnons. Les Grecs restèrent par la suite les invités de Circé. Assez longtemps pour qu’elle donne deux fils à leur chef ; après quoi ils reprirent la mer en suivant la route conseillé par Circé pour retrouver leur patrie.

La Magicienne Circé, vers 1650, Le Grechetto, Milan, Museo Poli Pezzoli
La Magicienne Circé, vers 1650, Le Grechetto, Milan, Museo Poli Pezzoli
La Magicienne Circé, vers 1650, Le Grechetto, Milan
La Magicienne Circé, détail, vers 1650, Le Grechetto, Milan, Museo Poli Pezzoli

En général, Circé tient la baguette qui lui permet de transformer les hommes en animaux tout en préservant leur mémoire humaine. Le calice fait référence aux potions magiques de Circé. Les animaux qui entourent Circé sont les hommes arrivés par hasard dans son palais et transformés par elle.

Ulysse et Circé, vers 1630-1635, Jacob Jordaens, Basel, Kunstmuseum
Ulysse et Circé, vers 1630-1635, Jacob Jordaens, Basel, Kunstmuseum

Circé cherche à changer Ulysse en porc, comme elle l’a fait avec ses compagnons. Ulysse, insensible à la magie de Circé, tire l’épée pour la forcer à rendre forme humaine à ses compagnons.

Nul ne résistait aux enchantements de Circé. En approchant de son palais, les hommes qu’Ulysse avait envoyés en reconnaissance s’étonnèrent de voir des loups et des lions venir leur lécher les mains, ne pouvant deviner qu’il s’agissait de marins ensorcelés par Circé. Leur hôtesse donna un banquet en l’honneur des nouveaux arrivants, mais, à leur insu, elle versa dans leur vin une drogue qui leur ôta jusqu’au souvenir de leur patrie tout en les transformant en pourceaux.

La Nymphe Calypso

La nymphe Calypso, fille d’Atlas, vit sur l’île d’Ogygie, dont Homère dit qu’elle es « le nombril de la mer ». Naufragé au cours de son odyssée, et seul survivant de l’équipage qu’il commandait au départ de Troie, Ulysse devait passer sept années dans l’île de Calypso (Ogygie est généralement identifiée à Gozo, près de Malte). Calypso (« celle qui cache » ou « celle qui est cachée », en grec) eut bien de mal à croire en sa chance quand elle vit le beau guerrier échouer sur son île. Elle le recueillit, s’en éprit et lui promit la jeunesse éternelle s’il restait avec elle pour toujours. Au début, Ulysse fut sous le charme de la Nymphe, qui lui donne deux fils jumeaux, Nausinoos et Nausithoos. Mais, les années s’écoulant la beauté paradisiaque de l’île n’empêcha pas Ulysse de sombrer dans la mélancolie. L’hôte de Calypso s’en sentait désormais prisonnier, leur amour déclinait en même temps que la nostalgie grandissait dans le cœur du héros. Bientôt il passa ses journées à contempler la mer. Quand Jupiter envoya Mercure ordonner à Calypso de laisser partir son amant, elle céda tristement et fournit à Ulysse de quoi construire un radeau et des vivres pour le voyage. Elle se montra si coopérative qu’il soupçonna quelque tromperie, mais non : sans lui masquer les épreuves à venir, Calypso lui indiqua la route qu’il devait suivre en se guidant avec les étoiles. Et quand arriva le jour du départ, en guise de cadeau d’adieu, elle fit lever un vent favorable.

Ulysse chez Calypso, 1616, Hendrik van Balen, Vienne, Gemäldegalerie
Ulysse chez Calypso, 1616, Hendrik van Balen, Vienne, Gemäldegalerie

La demeure de Calypso était une vaste grotte où un grand feu exhalait des senteurs de cèdre et de thym. Bercée par le chant des oiseux et le murmure des ruisseaux, la vie y était un enchantement. Les deux amants vécurent heureux dans la grotte enchantée, jusqu’à ce qu’Ulysse soit repris par le désir de retrouver son île d’Ithaque, quitte à renoncer à la jeunesse éternelle que lui offrait Calypso.

Paysage fantastique de caverne avec Ulysse et Calypso, vers 1625, Jan Brueghel l’Ancien
Paysage fantastique de caverne avec Ulysse et Calypso, vers 1625, Jan Brueghel l’Ancien, Londres, Collection privée
Ulysse et Calypso, 1883, Arnold Böcklin Bâle, Kunstmuseum
Ulysse et Calypso, 1883, Arnold Böcklin, Bâle, Kunstmuseum

Bibliographie

Hamilton, Edith. La Mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes. Marabout, 1997
Lefèvre, Thierry. 13 histoires pour découvrir les amours des dieux. Somogy, 1998
Bertherat, Marie. Les Mythes racontés par les peintres. Bayard jeunesse, 2000
Impelluso, Lucia. Dieux et héros de l’Antiquité. Éditions Hazan, Paris, 2001
Denizeau, Gérard. La mythologie expliquée par la peinture. Larousse. 2017